Je suis en colo. Non, pas colon, juste animateur.
Je m’occupe d’une vingtaine de gamins qui sont tout le temps malades. Je sais dire varicelle en Russe. Je passe des journées entières à l’hôpital, chez le docteur et à la pharmacie.
Les pharmaciens sont des gens étonnants et mes escapades dans leurs enseignes de véritables épopées.
J’arrive toujours sueur au front, ayant fait le choix de laisser le gamin souffrotant dans la voiture sans clim’ par 45° dehors et avec Zaz à la radio. Je présente l’ordonnance. Il y a trois médecins dans la ville, mais c’est toujours la même remarque qui émane des pharmaciennes :
– C’est vraiment mal écrit ! Jacqueline, tu comprends ce qu’il y a marqué, là ?
Jacqueline comprend à tous les coups, elle est le Champollion de la pharmacie.
Et c’est au final souvent du Doliprane, du Dafalgan ou des trucs somme toute assez banals que le gamin doit prendre.
– JE REVIENS TOUT DE SUITE.
Et la pharmacienne part à l’aventure, à la recherche du paquet de Dafalgan. Les pharmacies doivent à mon avis être plus grandes qu’elles ne paraissent pour que ça prenne autant de temps de trouver un paquet de Dafalgan. En admettant que la pharmacienne marche à 4 km/h et que je l’attende 8 minutes 32 (oui, j’ai mis mon chrono hier), sa quête du graal Dafalgan doit mesurer 568,89 m (j’arrondis).
CAR : 4000 / 3600 x (8 x 60 + 32) = 568,89 un peu de maths, ça ne fait pas de mal.
Et donc l’arrière boutique de la pharmacie de s’étendre sur 284, 445 m.
Je ne suis pas con c’est pas diantre possible. C’est donc obligatoire qu’il y ait une histoire de porte magique à la Narnia pour arriver dans un monde de médicaments. Dans chaque pharmacie.
En aurais-je trop dit ? On me fera sûrement taire, je pense avoir mis le doigt sur quelque chose. Quelque chose d’énorme, un secret que le lobby pharmaceutique préservait jusque ici.
LE LOBBY PHARMACEUTIQUE CONNAIT LE SECRET DES MONDES PARALLELES #vousl’aurezluicienpremier
Si je ne donne pas de nouvelles d’ici trois jours, c’est qu’a priori, j’avais raison, et que ma pharmacie est dans la merde, trop peu précautionneuse de préserver ledit secret. Protégez mes pharmaciennes, surtout Jacqueline Champollion, et trouvez l’accès au monde fabuleux des médocs. Laissez juste Jean-Luc Delarue en dehors de ça.
Je divague à la caisse tandis que le gamin agonise. Il y a trois guichets ouverts. A l’un d’eux, une vieille dame a priori en pleine forme, qui, elle, a vu SA pharmacienne revenir de Narnia avec plein de paquets colorés. Comme des bonbons, la dame est heureuse, elle pourra se shooter un max dans les jours qui arrivent.
A l’autre caisse, un mec complètement HS prêt à mourir mais attendant tout de même ses médocs, me jetant des regards terribles. La condamnation pour non assistance à personne mourante me pend au nez.
Et derrière nous, une bonne grosse file d’attente faite de gamins pleurnichards, de mamans débordées, d’estropiés à qui les mamis piquent les places assises, de papis ronchons… Tous me jettent des regards glaciaux, je flippe et m’excuse d’avoir quémandé un Dafalgan. De temps en temps, je salue mon gamin dans la voiture, que je discerne à travers les nuages de goudron s’évaporant. Il ne bouge plus, mais je le salue quand même, pour préserver ma légitimité, pour montrer que je fais une bonne action en allant chercher les médocs d’un jeune homme souffrant. Les gens s’en foutent, ils veulent seulement ma mort.
Et lorsque Narnia revient, elle a la boite de Dafalgan. Je la remercie et suis opé pour payer, là maintenant tout de suite. Mais non. Il faut décoller des étiquettes et les coller ailleurs, remplir des papiers. Je rougis, les gens tapent du pied, derrière. Mon gamin est sûrement mort. Je ne pourrai pas dire aux parents que je n’ai pas essayé de le sauver. Mais va leur expliquer pour Narnia, et tout. Non, je vais finir en taule, c’est certain. Et les étiquettes de s’enlever une à une, il y en a une vingtaine sur la boite.
Je réfléchis en contemplant les longs ongles vernis en blanc de ma pharmacienne, j’échafaude un plan pour sortir de taule. Plaider la folie. Avec Narnia, ça ne devrait pas trop être compliqué.
La pharmacienne me parle, j’entends mais n’écoute pas. Il est question de plusieurs comprimés plusieurs fois par jours, mais pas à telle heure et tout. Hocher la tête, toujours. Payer. Sortir, traverser la file d’attente en regardant ses pieds dans un couloir de honte. Y croiser des nécessiteux, en phase terminale et s’excuser implicitement.
Revenir à la voiture, éteindre Christophe Maé, ne pas regarder le gamin qui n’a pas encore parlé, juste espérer qu’il est toujours en vie. Sinon, trouver où planquer le corps.
hello ^^ .
je travaille en pharmacie, je serai un peu la Champollion de mon officine, et lorsque mes collègues font ça je pense très fort au client qui a le temps de décéder 50 fois dans de longues souffrances é_è !
Bref tout ça pour dire, qu’en plus de mon point de vue de l’autre côté du comptoir, j’aime beaucoup cet article 😀 !
Aha, je suis soufflée par ces déductions sherlockiennes, très très bien vu!
Le poste d’assistant sanitaire, source inépuisable d’histoires loufoques… Bonne colo!
Très bon moment que la lecture de ce billet, notamment ébahie par le savant calcul de maths 🙂
ça doit être parce qu’elle ne le trouve pas dans sa jolie boutique, le dafalgan, c’est si peu courant que mazette, il faut au moins retourner toute la pharmacie …