Le Petit Chaperon Rouge arrivait au bout de sa vie. Un dernier mouvement et ce serait fini. Il lui fallait bien réfléchir, observer les combinaisons, faire le bon choix pour que tombe le dernier bonbon qui lui permettrait de passer au niveau suivant.
– T’es occupée ?
Sa mère n’avait jamais appris à frapper à la porte. Le Petit Chaperon Rouge préféra se concentrer sur sa partie.
– Oh, je te parle !
– Attends, je termine..
– Ta grand-mère a appelé, elle est malade.
– Mère-grand, malade ?
– Arrête avec ton verlan. Mamie a besoin de toi, elle a pas l’énergie de commander ses courses. J’ai préparé une galette et un petit pot de beurre. Tu vas aller lui apporter, ça te changera des jeux vidéos.
De toute façon, le Petit Chaperon Rouge avait perdu et il fallait attendre pour reprendre une nouvelle vie. Un peu d’air ne lui ferait pas de mal, se dit-elle, et puis ce serait l’occasion de prendre quelques clichés en mode #promenonsnousdanslesbois.
– Et surtout, tu traines pas, hein ? Il y a le loup dans la forêt. Et il mange les petites filles.
– Et… donc… pourquoi tu m’obliges à sortir ?
– Non mais il va rien t’arriver. Faut pas toujours crier au…. Non mais vraiment, y a pas de raison. Et puis, tu ne vas pas laisser ta grand-mère mourir de faim ?
– Tu as raison, pour Mère-Grand, je peux faire ça.
Cette manie de tout dire à l’envers exaspéra un peu plus sa mère qui préfèra passer à autre chose plutôt que d’argumenter sur un sujet dont elle savait d’avance qu’elle avait de toute façon tort. La discussion enfin close, Le Petit Chaperon Rouge sorti de chez elle en sautillant, tenant sous son bras son panier. Dans sa main, son petit portable qu’elle ne lâchait jamais.
En attendant d’arriver à l’orée du bois, elle consulta sa timeline.
« S’incruster en soirée, rencontrer le prince charmant, trouver pénible sa conversation, trouver un prétexte débile pour s’enfuir, se tordre la cheville dans les escaliers, perdre sa chaussure hors de prix. #VDM ».
Cendrillon pouvait toujours se plaindre, elle avait une vie plus fascinante que la sienne. Mais foin de déprime, Le Petit Chaperon Rouge décida de prendre la vie du bon côté et de photographier toutes les merveilles de la nature qu’elle pourrait partager avec ses amis. La petite coccinelle sur la feuille chargée de rosée serait dans la boite. Idem pour les ombres des arbres qui donnaient des formes étranges sur le sol. Et avec un beau filtre, la résine des arbres avaient quelque chose d’absolument poétique. Sans compter ce loup, un peu swag, en second plan.
– Salut…
N’écoutant que son sens pratique, Le Petit Chaperon Rouge éteignit tout de suite son téléphone. A moins de connaitre le code, le loup ne pourrait pas en faire grand chose.
– Je peux t’aider ?
– Je vais chez ma Mère-Grand apporter une galette et un petit pot de beurre.
– Elle est anorexique ?
– Pardon ?
– Je veux dire, elle mange rien d’autre ? C’est pas équilibré comme repas, surtout pour une personne âgée.
– Elle aime les sucreries….
– Une soupe de légumes. Des biscottes, elle connaît pas ?
Le Petit Chaperon Rouge haussa les épaules. Le loup était finalement moins impressionnant qu’elle ne le pensait.
– Et je peux t’accompagner ?
– Ben… Ma mère, elle dit que tu manges les enfants… Alors…
– Non mais ta mère, elle a trop lu Doctissimo. Honnêtement, je suis bien élevé, je vais pas te manger. C’est qu’une rumeur bête qui continue à circuler, ça fait parti de mon passé, impossible de l’effacer..
Mal à l’aise, Le Petit Chaperon Rouge voulait terminer cette conversation au plus vite.
– Et si on faisait la course ? On se retrouverait devant chez ta grand-mère.
– Mais pourquoi ?
– Ben… parce que… je sais pas. C’est chouette la course, non ?
– Euh… ouais… Mais pourquoi ?
– Pour le sport. Avant de manger, il faut bouger… Tu vois ?
Le Petit Chaperon Rouge ne voyait pas. Mais plus vite, il serait parti, plus vite elle pourrait retourner à son exploration photographique. Déjà quelques likes lui étaient signalés. Elle voyait des champignons qui pourraient faire un magnifique premier plan avec le coucher de soleil en fond.
– D’accord. Le premier qui arrive a gagné !
– Je te préviens, je suis pas mauvais en sport.
Et il parti comme une flèche. Le Petit Chaperon Rouge pouvait maintenant prendre son temps, lire les derniers évènements de la toile tout en évitant celles des araignées. Lorsqu’elle leva enfin la tête, elle s’aperçut qu’elle était perdue.
Le temps d’une grimace, elle lança son GPS. Il suffisait de tourner à droite à 100 mètres et de suivre la départementale en tenant sa gauche.
Sur place, pas de trace du loup. Soit, il avait trouvé une autre victime. Soit, il en avait marre d’attendre.
Le Petit Chaperon Rouge tira la bobinette et la chevillette cherra mais elle eut du mal avec cette technologie datant de l’âge de pierre. Elle avait beau être vieille, sa grand-mère aurait pu au moins inverstir dans une clé. Ou un simple bouton. Mais non, elle préfèrait le rustique et Le Petit Chaperon Rouge du faire le tour des forums pour comprendre comment ouvrir cette satanée porte.
Sa grand-mère était bien dans son lit mais elle avait une drôle de tête. A voir son visage, ses dernières opérations n’avaient pas été une réussite.
– Approche, mon enfant, approche…
Un peu inquiète, Le Petit Chaperon Rouge ne reconnaissait pas la voix de sa Grand-mère.
– Alors comme ça, tu m’apportes de bonnes choses…
Un coup de Shazam et elle serait rassurée. En attendant, il fallait faire parler Mère-Grand.
– Oh, grand-mère, comme tu as de grands oreilles…
– C’est pour mieux t’observer, mon enfant.
L’application chargeait tranquillement.
– Oh grand mère, comme tu as de grands yeux..
– C’est pour mieux te voir, mon enfant.
Le temps d’appuyer sur le bouton.
– Oh, grand-mère, comme tu as de grands bras
– C’est pour mieux t’embrasser.
« Impossible de reconnaitre ce titre ». Elle était dans de beaux draps. Il fallait trouver une diversion.
– ça te dirait qu’on prenne un selfie ? En plus, ça rassurerait Maman.
– Approche…
– N’empêche, comme tu as de grandes dents.
Le Petit Chaperon Rouge éloigna l’appareil pour avoir le meilleur angle. Elle eut une photo magnifique de la grand-mère, gueule ouverte, avec elle qui souriait et faisait le signe des ciseaux au premier plan.
Le petit oiseau était sorti.
Le Petit Chaperon Rouge était mangée.
Le téléphone et le reste de la main tomba sur le lit, détâchés.
Les bucherons furent prévenus par les amis qui découvraient le macabre cliché.
Ils défoncèrent la porte, tuèrent le loup et, après l’avoir bien éventré, sortir le Petit Chaperon Rouge encore toute gluante des entrailles de l’animal.
Ils lui firent la leçon, lui dirent que sa grand-mère était morte et qu’elle pouvait repartir avec son téléphone et son panier.
Plus de peur que de mal au fond, se dit le Petit Chaperon Rouge.
Et surtout une belle aventure à twitter !
De quoi rendre verte de jalousie Cendrillon et sa bande de princesses !
Sur le chemin du retour, elle commença sa courte rédaction, sûre de tenir là, un futur succès.