Il ouvre la porte, remet sa ceinture comme il faut et tombe sur moi qui l’attend, les bras croisés. Il a l’air étonné de me voir. Je l’applaudis franchement.
– Je peux… Je peux t’aider ?
J’arrête mes applaudissements, l’heure est aux aveux.
– Pris la main dans le sac et tu oses encore me dire ça. C’est pas moi qui ai besoin d’aide. C’est toi.
– Je… Je comprends p…
– ça, tu m’auras fait marcher. Courir, même. On peut dire que j’en aurai passé du temps grâce à toi.
Il fait mine de ne pas m’écouter et s’approche des lavabos pour se rincer les mains.
– A chaque fois, tu effaçais tes traces. A chaque fois, je me demandais qui était derrière tout ça. ç’aurait pu durer longtemps. Heureusement, tu as commis une erreur.
Je sors la fiole de ma poche. Dans le miroir, il me dévisage. J’ai désormais toute son attention.
– Ne crois pas que ce fût simple. Au contraire, cela était plus compliqué que je ne le pensais. J’ai commencé par faire des calculs, par procéder par élimination. Combien sommes-nous à l’étage ? Combien d’hommes viennent ici chaque jour faire leur besoin ? Même en supprimant les innocents, il me restait une longue lignée de coupables.
J’ai donc décidé de m’impliquer pleinement dans l’enquête. Il a fallu que je boive des litres d’eau, que je prétexte un régime afin de ne pas éveiller les soupçons. Toutes les demi-heures, je revenais sur place, attendant à chaque fois le bon moment. Après trois semaines, j’étais sûr de mon coup, le coupable faisait son acte à trois heures et quart, TOUS les jours. Il était réglé comme une horloge, perpétrant son crime comme un coucou suisse.
J’ai placé une caméra devant l’entrée des toilettes. C’est étonnant le nombre de personnes qui viennent y faire leur besoin à la même heure. A la même minute, même. A croire qu’il n’y avait pas qu’un seul coupable. Mais plusieurs. Pendant quelques temps, je ne dormais plus la nuit, sûr d’avoir mis à jour un complot sinon international, du moins d’étage. Cette affaire commençait à dépasser le cadre de mes compétences. Ne risquais-je pas d’être en danger ? Qui pourrait être suffisament fou pour croire ma théorie ? »
Il s’essuie les mains, m’écoutant vaguement.
– Je peux y aller maintenant ?
– J’ai un ami qui travaille à la défense. Il est gardien de nuit, il a regardé toutes les séries d’espionnage. Et il sait reconnaitre une alerte quand il en voit une ! Il m’a prêté une oreille attentive. Et il a sorti, pour moi, le meilleur matériel pour vérifier ma théorie. Il a pris des risques, une enquête est même en cours pour savoir qui a volé le matériel. Mais cela n’est rien. Quand la vérité sera mise à jour, lui et moi deviendrons des véritables héros.
– Je comprends rien à ton histoire, j’ai du boulot, j…
– Au contraire, tu comprends très bien ! Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tes traces disparaissaient en pleine journée ? Comment était-ce possible sans évaporation ?
Il relève un sourcil, prenant un air d’incompréhension. Je lui montre la fiole.
– Elles n’avaient pas disparu. Je les ai juste empruntées.
Il grimace.
– Pour être sûr de mon coup, j’ai analysé toutes les traces de mes collègues. Chaque fois qu’une goutte restait au bord de la cuvette, je sortais ma pipette et hop, au labo !
– Au labo ?
– Oui, j’ai un copain laborantin… Il s’ennuie souvent. Il adore Fred Vargas. Alors quand je lui ai raconté mon histoire…
Il ferme les yeux, accuse le coup.
– Ce n’est pas une tâche simple que de récupérer l’urine de tous ses collègues. Il faut être discret. Savoir se fondre dans la foule. Faire la différence entre tous les relevés. Et bien sûr, ne rien renverser…
– Mais c’est dégueula….
– Toujours est-il que mes amis et moi-même sommes fiers d’avoir pu dévoiler les dessous de l’affaire. Le complot était une fausse piste. Nous avons remonté le courant jusqu’à nous rendre compte qu’il n’était pas rare que plusieurs personnes aillent aux toilettes en même temps. Après tout, la plupart des gens mangent aux mêmes horaires. Il est donc logique que la digestion…
– Arrête !
– Grâce à mon ami, et son nécessaire de petit chimiste, nous avions un coupable. Mais tout cela manquait de mobile. Nous avons donc enquêté encore et encore. Les antécédents familiaux, les complexes, les humiliations connues. Après tout, on ne laisse pas quelques gouttes devant la cuvette gratuitement. A moins d’être myope et de faire à côté. A moins de se voir plus grand que l’on est. Cette dernière théorie était la bonne. Nous avons rencontré tout ceux qui ont fricoté avec le coupable et tu sais quoi…
– J’ai du taf…
– Bingo ! A chaque fois, un problème d’érectibilité. Celui que nous appelions affectueusement « la Goutte » avait un problème de taille. Un complexe qu’il tentait de résoudre, chaque jour, à trois heures et quart… Et ce coupable, c’est toi !
Pendant un instant, ce fût le silence. J’avais appelé la sécurité, j’avais joué la montre. Pourtant, nous étions seuls. Et j’étais en danger.
– ça m’arrive de faire à côté et alors ?
A son insu, mon magnétophone enregistrait sa confession.
– ça t’arrive jamais toi ?
Devant un tribunal, cette cassette vaudrait de l’or.
– T’as pas aut’chose à foutre que de ramasser la pisse des gens ? –
Ne pas se laisser intimider. Les gros bras viendraient bientôt l’encercler, j’en étais sûr.
– T’es pas payé pour jouer les dames pipi !
Sa technique de manipulation ne fonctionnerait pas.
– Depuis des jours, je te demande ce que tu fous. Depuis des jours, tu glandes…
Minimiser mon travail d’investigation. J’étais touché mais pas coulé.
– Tu m’écoutes au moins ?
Rester dans ma vie intérieure. Ne pas bouger. Ne rien dire tant qu’il n’est pas cerné.
– Tu veux que je te dise ? T’es viré.
J’en rigolerais presque. Après tout ce travail, je ne pourrais qu’être remercié.
– Tu prends tes cliques et tes claques et tu dégages d’ici.
Une copie avait été déposée aux RH. Même les dirigeants ont reçu une trace de mon enquête.
– Un malade comme toi, ça n’a rien à faire dans les bureaux.
L’affaire allait éclabousser toute l’entreprise. Une vague de vérité viendrait bientôt submerger l’étage. Plus personne ne pourra dire « je ne le savais pas ». C’était une sale affaire dont personne ne sortirait totalement blanchi.
Votre titre me ravit !