Partir

J’attends qu’on annonce les bouchons sur les routes pour les vacances de la Toussaint, ça me manque de ne pas entendre à la radio à la télé que « tout le monde » part en vacances sauf moi. Mais ça ne saurait tarder, ça dure à peu près toute l’année sauf en septembre et octobre, ensuite c’est non stop… Je n’aurais pas l’indécence de me plaindre car je peux, contrairement à beaucoup trop de gens, m’offrir de temps en temps des vacances. A la nuance près que j’en suis venue à détester les déplacements les plus infimes, passer le périph est déjà en soi une aventure. Pourtant, je n’assume pas, loin s’en faut, cette propension à l’immobilisme, dès que se pointent les fameux congés, je fuis les conversations banales, craignant le fatal « Quand partez-vous? »

Un rendez-vous chez le coiffeur concentre des questions de départs en vacances comme nulle part ailleurs. Bon, c’est un coiffeur plutôt chic et snob où les clientes n’ont apparemment que ça à faire, aller et venir autour du monde et surtout l’annoncer. Du coup, de la coloriste à la coiffeuse en passant par le shampoing, le vestiaire, la caisse, on n’échappe pas au « Quand partez-vous? » avec la variante du « vous devriez partir… ça vous ferait du bien… » en réponse au morne scoop que je n’ai aucun projet de voyage, pas plus aujourd’hui que demain.

Nullement besoin d’être Freud pour savoir depuis belle lurette que chacun de ces stimuli me renvoie à ma peur panique de l’avion à laquelle je n’ai jamais pu me résoudre. Pas plus tard que la semaine dernière, une amie proche me dit combien elle est « triste pour moi » que je lui emboite pas le pas de Paris à Bali en passant par Singapour, 20 heures de voyage, j’en ai eu des sueurs froides en potassant le guide du routard en ligne et easyvols.com. Mais je connais Bali… en virtuel… comme je connais à distance l’Amazonie et Cuba… tous ces voyages que je n’ai jamais osé faire mais que je pourrais décrire mieux que n’importe quel touriste, ayant passé des nuits sur internet à éplucher le moindre détail d’un périple idéal qui pourrait convenir… Je connais les vaccinations, les climats, les monnaies, les moyens de transport d’une île à l’autre une fois sur place, les vêtements à emporter, les bijoux à ne pas emporter, j’ai même appris le portugais à Paris pour me déplacer plus facilement au Brésil, je peux réciter de mémoire toutes les plages de Rio de Janeiro dans l’ordre, voire dessiner un plan sommaire de Manaus…

Mon estime, admiration, envie, je le concède, pour les voyageurs qui vous annoncent que demain matin ils seront à Roissy sans devenir livides, en proie à la tachycardie, aux nausées, aux désordres intestinaux, comme on dit, est sans limites. Je n’entends même pas la suite de la phrase, ce qu’ils vont y faire à New York ou Toronto, j’entends les moteurs de l’avion qui décolle, les portes métalliques qui ne se rouvriront pas avant des heures, des heures interminables à se gaver de Xanax sans pouvoir fermer l’oeil, sursautant à chaque sonnerie suspecte (elles le sont toutes), en proie aux hallucinations olfactives d’un réacteur qui aurait pu s’enflammer sans que personne ne s’en rende compte. Rien que de l’écrire, j’irais bien boire quelque chose…

C’est drôle parce qu’enfant, ado, j’ai trimballé pendant des années une valise tous les WE de la pension à la maison mais ce n’était pas le départ que je craignais, c’était le retour à la maison, ça doit y être pour quelque chose cette peur originelle qui s’est comme inversée… Bref! J’y retourne, je n’ai pas encore comparé tous les rapports qualité/prix des 637 hôtels de Bali, il faut que je m’y colle…


Camille Marty
www.cinemaniac.fr

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