Connard de conte de Noël

Par @meriadeck

Connard de conte de Noël

Ce que j’aime le plus lorsque je rentre chez moi, dans ce tréfonds d’arrière pays landais, où au cœur de l’hiver la forêt de pins uniforme revêt son long manteau brun, c’est de me plonger dans les faits divers locaux. Rien n’est plus agréable que ce genre de lecture où la nature humaine transparaît dans ce qu’elle a de moins ragoûtant.  Plus c’est local, plus on touche du doigt la médiocrité des gens, plus leurs méfaits apparaissent glauques, tout cela vous saute à la gueule, comme si l’arrière pays agissait comme un catalyseur à merdes.

Un jour je tombe sur ce fait divers, à haute teneur.

Ca commence par un cambriolage, à quelques jours de Noël. La ville, station balnéaire florissante l’été, est vidée de ses habitants l’hiver. Seuls restent quelques téméraires qui traversent les rues la tête baissée. Faire ses courses de Noël dans une telle ville peut mener à un début de dépression nerveuse. La maison visée, c’est une demeure récente, construite comme celles qui furent bâties lorsque la « papet’ » s’est installée- la papet’, c’est ce monstre d’acier et de tôle qui recrache jour après jours ses effluves nauséabondes sur tout le littoral.

C’est la mère  qui découvre la chose, un vendredi soir. En rentrant du travail, elle a trouvé un des contrevents ouvert. La maison a été retournée, le sapin de Noël qui trônait dans un coin de la pièce a même été renversé. En larmes elle appelle son fils qui arrive aussitôt. Il inspecte les lieux. Quelques CDs ont disparus, ainsi que le poste radio de la cuisine, une antiquité. On a pris les bijoux de sa mère, fouillé aussi dans sa chambre et là les cambrioleurs ont été chanceux : ils ont mis la main sur les cartons de cartouches de cigarettes qu’il venait de ramener d’Espagne. Les voleurs étaient sans doute renseignés. Il vérifie les autres pièces de la maison. Et là c’est le choc, sa respiration se coupe.

Il ne l’avait pas remarqué au premier abord quand il est passé dans le salon. C’est en ouvrant les volets pour y voir plus clair qu’il a remarqué la trace de poussière sur l’étagère au dessus du poste de télé – qui lui n’a pas bougé, il faut dire que le modèle cathodique Yougoslave coins carrés 1 mètre sur 1 mètre, robuste mais intransportable a de quoi rebuter le plus téméraire des Arsène Lupin. Sur cette étagère, il y avait un bibelot en métal, scellé. De loin, on aurait dit une coupe. En s’approchant on aurait pu voir une inscription, une date. Il est en train de réaliser que l’on vient de dérober l’urne funéraire de son père, décédé trois ans plus tôt.

Il hurle. Il regarde derrière la télé, peut être que l’urne a pu tomber. Il soulève les chaises, la table, inspecte le sol, l’urne a pu glisser.  Il lui faut maintenant annoncer la nouvelle à sa mère, dans la cuisine, toujours assise sur une mauvaise chaise, les mains tremblantes. Il tente de trouver les mots mais tout ce qui sort de sa bouche est un laconique « ils ont emporté Papa ». Et la vieille de fondre en larmes de plus belle. Il lui promet qu’il va le ramener. Elle demande s’il faut appeler les gendarmes. Non, surtout pas, ils ne savent pas pour les cigarettes.

Quand le lendemain il entre dans le bar tabac « la Marine » il se sent justicier. Il dévisage tous les consommateurs, tous suspects potentiels. Il jauge les regards, les attitudes, que quelqu’un fasse un geste de travers et il le remarquera, une allure, un mouvement et le traitre sera identifié. Mais c’est surtout les regards. Personne ne sait pour le cambriolage, si une personne vient à lui en parler, alors il saura.

Il passe l’après-midi, à brûler clope sur clope, pariant sur des tiercés imaginaires, il ferme les yeux il voit les chevaux défiler et franchir la ligne. Il va pour écraser sa cigarette dans le cendrier quand son regard est attiré par quelque chose. Là, dans le cendrier, un mégot, avec une bague rouge et des initiales. Il les connaît bien ces initiales, ce sont les mêmes que les cigarettes espagnoles, celles là même qui lui furent volées. Il cherche des yeux le fumeur. Il demande au gérant, lui montre le mégot. L’homme est déjà sorti, mais pas de longtemps. Il est peut être sur le parking lui répond-il.

Il sort en courant sous le ciel de décembre. Le vent charrie des embruns, il ferme son manteau, l’homme est là en face, il traverse la rue et va pour monter dans sa voiture. Il le connaît vaguement, un intérimaire qu’il croise à la Papet’.il feint d’engager la conversation, il lui demande de le dépanner d’une clope et d’un peu de feu. Il lui fait remarquer que ce sont des cigarettes espagnoles. L’autre explique qu’il les a achetées à un ami, qui en a tout un stock. L’autre lui demande s’il n’a pas son adresse, il lui en achèterait bien quelques unes. L’homme réfléchit deux secondes puis lui donne l’adresse. Il reconnaît cette adresse, Quentin X…, un ancien de la Papet’, ils ont fait les trois-huit ensemble. Il se souvient de lui avoir parlé des cigarettes. L’autre n’était pas chaud de faire le trajet jusqu’en Espagne. Suite logique.

Notre justicier rentre chez sa mère. Il la trouve toujours couchée, elle ne s’est pas levée de la journée. Il va ensuite dans la buanderie et ouvre une vieille armoire métallique. Il en sort la carabine à plomb de son père puis remonte en voiture. Direction un lotissement en bordure de la ville, non loin de la Papet’. Il s’arrête au numéro 23, une maison qui bien que récente est passablement défraîchie –Pialat disait que l’ennui est le principal effet d’érosion des paysages tristes. De toute évidence le jardin n’a jamais été entretenu et le crépi sur la façade n’a pas été terminé. Il reste un moment dans sa voiture, observant les alentours et les allées venues autour de la maison.

Vers 18h, alors que la nuit est déjà tombée sur la côte, une voiture se gare près de la maison. Un homme en descend et se dirige vers l’entrée, sans prêter attention à l’autre voiture, garée sur le trottoir d’en face. Alors qu’il est en train de refermer sa porte d’entrée, quelqu’un bondit de la pénombre et enfonce la porte, le projetant dans le couloir. Une silhouette se profile au dessus de lui, le braquant. L’homme le tire par le col de chemise jusque dans le salon.

« Tu me reconnais ? » hurle l’homme. Il allume la lumière, tourne autour de lui avec sa carabine. L’autre sur sa chaise commence à suer de peur. « Oui ». « Où est mon père ? ». Silence. La question de l’autre ricoche sur la paroi crânienne. L’homme a attrapé une corde et l’attache sur sa chaise. Puis il va de chambre en chambre. Dans la première il tombe sur un tas de cartouches de cigarettes disposées sur le lit – la preuve. « Où est mon père » ne cesse de hurler l’autre. On entend des bruits de meubles qu’on déplace, renverse. Il revient à la charge. « L’urne de mon père ». Un premier coup de crosse en pleine mâchoire. Puis un second, puis un autre, un autre. Quelque chose de chaud coule sur sa chemise. Des coups de pieds volent sur sa poitrine. Entre les coups, il n’entend que des bribes, des mots qui reviennent, père, urne, connard, ta peau. Alors seulement, il comprend.

La lumière se fait. Les yeux vitreux, le visage abaissé, l’homme confesse. L’urne. Il pensait qu’il s’agissait d’un trophée sportif. Il a essayé de le revendre sans succès. Il revoit encore la tête hilare du gérant de Cash2000 lui expliquant que son trophée en argent est une urne commune. Valeur marchande, zéro, niet, nada.  Quand il a su qu’il ne pourrait rien en tirer, il s’en est débarrassé. Arrêté sur un pont enjambant le ruisseau local qui va rejoindre l’océan,  il l’a balancé. A l’heure qu’il est, les cendres de son père s’élancent à l’assaut du Gulf Stream. Il faut quelques minutes à l’autre pour digérer l’annonce. Effondré par terre, comme frappé par la foudre. Il quitte la maison en titubant.

Le 24 décembre au soir, les gendarmes sont arrivés. Ils ont frappé à la porte de la cuisine. La mère leur a ouvert, elle a pensé qu’ils venaient pour le cambriolage. Ils ont demandé où était son fils. Elle leur a indiqué sa chambre, il était rentré tard, fatigué. Ils sont entrés, l’ont réveillé. Il n’a pas protesté quand on lui a passé les menottes. Seule la mère posait des questions, elle voulait savoir pourquoi on amenait son fils. Elle a tenté de s’interposer, un gendarme l’a gentiment reposée sur un fauteuil. A la gendarmerie on lui racontera toute l’histoire. Un homme est à l’hôpital, la mâchoire et les côtes brisés. Son fils est suspect. Il restera en garde à vue, avant sans doute de filer en détention.

Une vieille dame est assise sur un banc à l’entrée de la gendarmerie, le visage dans ses mains. Dehors, la ville a été avalée par les ténèbres, on aperçoit à peine les guirlandes qui flottent au dessus de la rue, ballotées par le vent. Par la fenêtre elle voit les LEDS qui proclament « Joyeuses Fêtes ».

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