Le jour du lent

Il est des décisions parfois que l’on prend et que l’on doit assumer jusqu’au bout malgré l’évidence de la connerie qu’elle dégage. J’ai donc accepté de passer le réveillon du jour de l’an chez une collègue insistante (et non, pas assistante), qui me vendit son « jour de l’an » ainsi :
« Mais siiii, vieeeens, il n’est pas question que tu passes la soirée tout seul, de toute façon, avec mon mari, on t’a déjà prévu, puis tu verras nos amis sont super sympas ! ».
Et moi de répondre : « Mouai mais, vous êtes entre couple et vous vous connaissez… », bref, pas franchement envie d’y aller, mais pas franchement envie non plus de passer la soirée tout seul.

C’est le syndrome bien connu de nombreux parisiens, lequel est le « je connais plein de monde mais je ne vois jamais personne, aller, vas -y, toi aussi, aies une vie sociale »

Donc tout allait bien, c’était quand même gentil de sa part de m’inviter, et ce fut sans regret que je pris donc cette décision, OUI, J’IRAI, ET OUI, JE SERAI SOCIABLE !

Elle : « Cooool, bon, par contre, c’est une soirée tranquille, t’attends pas à la grosse teuf, et il faut amener un cadeau de moins de 5 euros, ok ? »
Moi : « Ok, pas de soucis, tu m’envoies un mail avec ton adresse et tout et tout ? »

Elle fit.

Son chez elle, c’est dans les dernières stations du RER A, dans des zones Navigo obscures, que si t’es comme moi, tu penses qu’après la zone 2, c’est des champs cultivés à perte de vue. Et non, c’est du béton, partout, mais moins beau qu’à Paris, quand même.

Une fois, l’étape RER validée sans encombre (vous savez comment ça marche le RER vous ? Moi, perso, j’ai découvert),
Elle, passe me prendre à la gare et nous voilà parti dans un dédale de quartiers pavillonnaires, entrecoupés de bars PMU.

Nous arrivâmes dans sa résidence. Bip portail, bip garage, bip hall d’entrée. On monte un étage, et nous voilà dans le dining room (que j’imaginais plus en dancing room). Une main froide et molle est enfermée dans la mienne, c’est le mari, qui m’accueille comme il le peut. Des paupières basses cachent un regard vide, des cheveux bruns coupés à la brosse, visage presque imberbe, léger double menton surplombant un t-shirt Metallica délavé, il me dit « bonjour », je lui répond « salut », Il retourna aussitôt à ses occupations. Ambiance.

Petit moment de bonheur simple avec le petit bébé de trois mois que je pris en confidente de début de soirée. Super pratique, pendant que tu fais des GouziGouzi Areu Areu, tu n’as pas besoin de rentrer dans une conversation.

Les autres couples-convives sont arrivés. Un grand mec à moitié chauve avec des lunettes et une banane autour de la taille (et le portable à la ceinture si si) est accompagné d’une petite chinoise timide. L’autre couple, des jeunes cadres dynamiques sveltes et avenants, sont les premiers à sourire, je les sens sportifs. A premier œil, lui, est certainement un amateur de rugby, je ne me trompe pas, à la vue de son  polo EdenPark à rayure qu’il dévoile à la tombée de sa veste. Sa compagne m’est présentée comme « elle aussi, elle est graphiste, vous allez avoir plein de truc à vous dire », désolé chérie mais…. non !

C’est l’apéro, youpi ! L’hôte nous a concocté une soupe champenoise. Enoncé de la recette avant de nous servir dans de grande (très grande) flûte le breuvage tant attendu. « ATTENDEEEEEZ ! Annonce ma collègue, apriori enthousiaste, je vais vous coller des petites pastilles pour que chacun reconnaissent son verre ». Les pastilles en question, de petits animaux en plastiques à « ventouser » sur le rebord de nos verres.

« Bon baaaaah, tchin’ tchin’ comme dirai l’autre… »
Nous tchintchinons.
Sur la table basse, trois sortes de chip’s. Des vertes au wasabi, des rouges « à l’italienne », des jaunes goût hamburger (ça ne s’invente pas).

J’ai terminé ma coupe le premier et assez rapidement d’ailleurs. Je me dis que si je me bourre la gueule, je verrai la vie autrement. Seulement voilà, la coupe ne se remplira plus de la soirée qu’avec du coca (fabriqué par une machine à soda).

La copine chinoise a fait des minis quiches pour à peu près 20 personnes, dommage, nous ne sommes que sept.
On fait tourner l’assiette, jusqu’au « non merci » qui sous-entend « putain, je suis overbouffe, je suis calé »

Les discussions sont tournées vers bébé. Papa juge que les piercings c’est de la barbarie, et que jamais Ô grand jamais, la petite n’aura ne serai-ce qu’une boucle d’oreille. La discussion sur les tatouages est balayée d’un revers de main par le même pseudo-rockeur, car de toute façon les tatouages, « ça sert à rien ». Un petit passage rapide sur la délinquance en France, enrichi des anecdotes de chacun dans des situations trop flippante dans le métro.

J’ai chaud, je transpire du front, je me sens mal à l’aise, j’ai très envie de partir, je me demande ce que je fous là.
Ma maman-collègue décide de nous montrer des photos du bébé sur la télé pendant que la copine graphiste tente de faire fonctionner ce « putain » d’ordi dans lequel elle a préparé une « petite surprise ». Je vous épargne, ma grande générosité oblige, l’énumération des onomatopées conséquentes au défilé des photos du bébé, pour vous parler rapidement de la surprise en question. Hum ! Voilà…. THE diaporama de la vie de bébé depuis sa naissance, fondu enchainé, gros plan sur fond de…. Francis Cabrel. J’ai des envies de génocides qui me chatouillent le cervelet.

A TAAAABLE !!! Ouf, c’est une preuve que le temps passe. Saumon fumé obligatoire, coca sans bulle, et silence radio.

J’ose un « Tu mettrais pas un peu de musique ? ». Là encore, je me dis que je devrai définitivement apprendre à fermer ma gueule. Je me suis donc tapé l’album complet de Calogero, des enfoirés, et autres artistes varièt’ que je ne connais pas.

J’ai mal au bide, mon estomac est en excès de stock, mais il reste encore la pintade farcie estampillée Picard et les desserts.
J’ai acheté une super bouteille de vin, mais tu sais quoi…. oui, t’as compris, ils n’aiment pas trop le vin. J’ai envie de chialer mais un homme ça ne pleure pas, ça boit. J’apprécie ma bouteille, seul, sans que personne n’échange avec moi la qualité du nez, le goût si riche du grenache…

Le soirée passe tant bien que mal. Ça discute moto, nouvelles technologies et mariages de gens que je ne connais pas.

Je suis dans mes pensées, j’envoie à mon ex un texto pour lui dire qu’elle ne m’a jamais autant manqué que ce soir et qu’elle reste ma princesse, j’évite de lui parler des trucs salaces qui me viennent tout de suite à l’esprit. Je l’aime, mais je ne lui dis pas. Elle, elle est à Londres et elle doit être bien saoul déjà. Je l’imagine vêtue d’une robe moulante se dandiner comme elle sait si bien le faire, et déjà mon inconscient à des mains baladeuse… Onirisme, barre toi, il est minuit, faut se faire la bise !

Bises bizarres à des gens qui ne le sont pas, je donnerai tout pour un moment de folie, mais non, je me suis mis en mode bienséance, ce soir, c’est capitaine de soirée pour toi mon coco, tiens bien le volant, direction waitandsee, la vie c’est aussi ça, et toi aussi un jour, tu auras des marqueurs de verre ventouse plastique en forme de koala.

En attendant, les voisins donnent dans le nano feux d’artifices sur parking, que si Brice Hortefeux voyait ça, aïe aïe aïe, ça chaufferai dur, c’est qu’ils vont finir par faire cramer les cyprès ces cons.

Je me gerbe par moi-même (ami littéraire ne pleure pas) sur le balcon, afin d’admirer ce petit spectacle impromptu. Mes camarades d’ennuis me rejoignent, seulement voilà, il fait trop froid, et sait-on jamais, un accident est si vite arrivé.

Première fois de ma vie que je ne me couche pas bourré un jour de l’an… ça me fait bizarre !

Il est l’heure de se coucher et de se dire que c’était « sympathique » comme soirée. Faut encore gonfler le matelas et faire le lit. Son metalleux de mari m’aide, son regard statique est dirigé vers le sol, il ne m’adresse pas un mot. je pompe mécaniquement avec  le pied sur le gonfleur. Eclairé par une lampe de bureau, je regarde la pièce au trois-quart vide, je devine quelques cartons encore fermés coincés dans la pénombre. Seul le sifflement aigüe de l’air gonflant le matelas, vient troubler cette étrange collaboration. Quelques minutes plus tard, il tâte le matelas, il dit « c’est bon » et s’en va sans se retourner.

Je me couche avec le sourire en constatant qu’elle m’a répondu.

5 commentaires

  1. Connais tu l’expression mieux vaut être (et passer la soirée) seul que mal accompagné ?!
    PS. J’aime bcp les réserves du fan de Metallica en matière de tatouage/piercing. M’est avis que fifille ne va pas lui demander son avis 😉

  2. Alors heureusement c’est pas toujours comme ça.
    Moi aussi j’étais parti sur le syndrôme « tain j’vais m’faire chier, mais j’vais pas rester devant Arthur un 31 déc, ça non! »
    Puis FINALEMENT, alcool aidant, ‘me suis bien marré à la soirée ^^

    Allez l’an prochain c’est toi qui organise un truc !
    Tu l’invites elle et son mari, et tu leur apprends la définition d’fête! =)
    (Puis invite ton ex. Sait-on jamais, ptêtre elle t’aime aussi …

    ou plus. )

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