par @cylk34
Une grande pièce carrée est entourée de fauteuils en cuir noir, et de canapés en tissu. Au centre, un tapis supporte une table-basse chargée de vieux magazines écornés. Je contemple les ornements haussmaniens sur le plafond, et je me demande ce que je vais bien pouvoir dire.
La première séance avec cette psy a été catastrophique et j’ai hésité à arrêter, mais je ne dors plus la nuit, et cette envie de me jeter sous un train devient récurrente. De plus, l’idée de raconter à nouveau toute mon histoire à un autre psy, m’enchante moyennement.
Me revoilà donc assis dans la salle d’attente de ce cabinet de psychiatre, une deuxième chance pour elle, pour moi.
D’autres patients remplissent les canapés opposés à moi. Une femme, jeune, plutôt jolie, regarde ses bottes, un homme gras en costume, lui, lit un journal. J’aimerai connaître leur histoire et ce qui les amène ici, un sentiment communautaire nait en moi, j’ai l’impression de faire parti d’une confrérie de psychotiques, comme si on allait se taper sur l’épaule et qu’on se disait : « Alors, toi aussi t’es dans la merde, hein ? Bienvenue ! »
Mon nom raisonnant dans la pièce vient briser le silence de la salle, et mon échappée spirituelle par la même occasion. Je me lève honteusement et me dirige vers le docteur. Je sens le regard des « attentistes » me suivre.
Je franchis une porte étroite et me revoilà assis dans le même décor que la dernière fois, sur cette même chaise de bois, mes doigts faisant les mêmes nœuds.
– « Alors, comment allez-vous ? » Me demande-t-elle.
– « Mal ! »
– « C’est à dire ? »
– « Je peux être franc avec vous ? »
– « Oui oui, c’est impératif même… »
– « j’ai été déçu de notre premier entretien, aller sur un site Internet de rencontre, acheter un livre sur le développement de soi etc, ça, je peux le faire sans vous. Ce n’est pas vraiment ce à quoi je m’attendais. »
Elle reste silencieuse. Puis, elle me répond : » je comprends. Mais, c’était une première séance il fallait que je vous scrute un peu et que je sache à qui j’avais à faire pour mieux guider nos entretiens »
Cette évidence me fait fermer ma gueule. J’en reste stoïque, une boule à neige sur une étagère, je ne sers à rien.
– « Sinon les cachets ? »
– « Bah, je dois avouer que je n’ai plus de crises d’angoisse et mes idées noires se sont atténuées, mais ça reste un artifice pour moi, ce n’est donc pas naturel, et si j’arrête, alors là … »
– « Hop hop hop, ne vous inquiétez pas il y en a pour au moins un an et… »
– « Quoi ? Un an ? Mais, mais… » Cette perspective d’intoxication médicamenteuse quotidienne sur le long terme me fait frémir, bondir, glapir, mourir.
– « Monsieur… vous êtes malade, il faut que vous le compreniez, la dépression ce n’est pas à prendre à la légère »
Elle réitère une réalité écrite au néon, je suis malade, merde, ça me fait mal de me le dire, je me le redis, je suis malade. Outch, ça bouillonne dans mes neurones. Les connexions synaptiques ne se font plus, je suis vide du dedans.
On continue de discuter, ou plutôt c’est moi qui parle. Je me raconte et j’aime ça. Elle, elle prend des notes calmement, remontant ces petites lunettes de temps en temps, jusqu’à ce que soudainement elle cesse d’écrire et me fixe.
– « Vous connaissez l’EFT ? »
-« Euuuuh… »
– « Attendez, je vous montre »
L’index et le majeur de sa main gauche s’associent pour tapoter le poing de sa main droite et elle répète trois fois à voix haute :
« J’ai ce problème, mais je m’aime et je me respecte pour ce que je suis. »
Ensuite, avec ces mêmes deux doigts, elle se tapote cinq fois la tempe en disant : « j’ai ce problème », puis la paupière « j’ai ce problème », même protocole sous le nez, le menton, l’épaule droite, et les côtes.
– « Et, vous répétez ça jusqu’à ce que votre taux d’angoisse passe de 9 ou 10, à 0. »
Moment de silence intense. je la regarde avec des yeux creux. J’hésite entre éclater de rire ou prendre ça au sérieux. Je lui demande « C’est une caméra cachée ? ».
Elle rit.
– « Non, non, je vous assure, c’est une pratique utilisée pour les traumatismes, en général ça fonctionne. Essayez ! »
Je me tapote donc ! Je repense à mon idée de confrérie, et je me demande si elle n’est pas membre d’une secte finalement, et qu’elle essaierai de m’enrôler par une technique d’hypnose inconnue du néophyte que je suis et dont je serai la victime. Mon tapotage se termine, et moi je fais grise mine.
– « Très bien, refaites ça plusieurs fois par jours ou dès que vous vous sentez angoissé. Ok ? Ça vous fera 75 euros »
– « Et… c’est tout ? On ne parle plus ? »
– « Essayez ça d’abord et continuez le traitement. On se revoit dans deux semaines et si l’EFT n’a pas marché, on essaiera la cohérence cardiaque. » (voilà autre chose cf. épisode 3 à venir)
Je rempli mon chèque énergiquement, et le lui tends, les sourcils froncés pour bien lui faire comprendre que j’ai l’impression qu’elle se fout de ma gueule.
Elle n’a aucune réaction, elle récupère le chèque et me remercie.
Une fois dans la rue, le même sentiment que la dernière fois prend possession de mon corps, et je me mets à rire. Je me sens soulagé, détendu. Je crois que je vais y retourner.
La buée sortant de ma bouche s’envole dans la nuit, un homme ordinaire marche sur le trottoir en direction de son destin, c’est moi et mon histoire qui poursuivent leur chemin.
Si elle te fait rire alors, tu es dans de bonnes mains ^^
Attends, je m’en vais me tripoter
euh
me tapoter
😀