Le Chevalier des temps modernes

Dans les vieux films et les romans, ils sont beaux, ils sont sveltes, ils sont courageux.

D’une main gantée, ils arrêtent le cheval fougueux qui pris de panique filait droit vers le ravin en emportant  avec lui, une donzelle effrayée qui ne sait rien faire d’autre que de pousser sa voix dans les aigües. L’instant de peur passé, ils rassurent, ils exposent leurs dents blanches, ils  emballent à grands coups de moustache en ramenant chez elle, la jeune baronne imprudente qui connaîtra par la suite un sombre destin qui ne sera sauvé que par la nouvelle intervention du beau, fringant et courageux chevalier qu’elle aimera à la folie alors qu’il n’est qu’un coeur solitaire tout tendre caché derrière cette façade de gros rustre.

Le problème avec ce genre d’histoire, même si on sait que c’est du flan, c’est qu’on y croit un peu.

Nous aussi, on aimerait sauver une demoiselle, ne serait ce que pour emballer  héroïquement par la suite. Nous aussi, on voudrait notre quota de baronnes toutes prêtes à nous introduire dans les milieux mondains expliquant à tous comment on est doué pour les sauvetages et que même sans nous, elles ne seraient plus qu’un paquet de boyaux et de viscères étalés sur l’asphalte parisien. Nous aussi, on rêve de gloire, d’amour, de courage.

Alors, hein, elle est où la demoiselle en détresse ?!

Et bien, elle arrive à toute vitesse sur son scooter fougueux qui penche dangereusement, qui cabre et l’envoie promener à l’autre bout de la route. La belle casquée est sur le sol, complètement sonnée. Tout le monde s’approche d’elle, tout le monde veut voir, tout le monde veut savoir. S’en est elle pris plein la gueule ? A quoi ressemble une jeune demoiselle après une chute, ne serait ce que pour raconter ça aux amis.

Ils sont tous là, agglutinés, posant des questions, s’inquiétant pour sa santé.

J’aurais été plus rapide, j’aurais anticipé l’accident. Elle aurait été pour moi. Je l’aurais porté  jusqu’au premier banc public d’où nous aurions attendu ensemble les secours, main dans la main. Maintenant c’est trop tard.   Il y a tellement de monde que c’en est indécent. Alors qu’en plus, elle va bien. Elle est un peu sonnée par sa chute mais  elle s’en sort bien. Elle marche même jusqu’au trottoir accompagnée par sa cour prête à se battre pour lui venir en aide.

Je m’apprête à partir, le profil bas. J’ai laissé passer ma chance, tant pis pour moi.

Quand je le remarque, lui.

Le scooter fougeux, en plein milieu de la route.

– Si quelqu’un pouvait me le ramener … Ce serait vraiment gentil …

Un petit sourire. Mon heure de gloire est arrivée.

J’attrape les manettes mais le scooter ne se laisse pas faire. Il rugit, il se cabre et retombe en arrière. Il manque même de s’écraser sur moi. Quelques petits morceaux de rétroviseur sur la route. Un petit peu de dégâts, rien de grave. Ce n’est pas ça qui m’arrêtera. Je vais lui montrer qui est le maître à ce scooter. Je reprends le véhicule en main. A nouveau, il fait mine de partir seul, avec ce petit air furieux qui caractérise les scooters qu’on pousse à toute blinde. Je le retiens comme je peux. Il retombe. Cette fois-ci, il est vraiment abîmé.

– Mais qu’est ce qu’il fout, c’est pas possible.

– Y a des gens, je te jure…

– ça fait cinq minutes qu’il appuie sur l’accélérateur.

– Retirez les clés, imbécile !

Je tourne la clé. Je relève le scooter. Des petits morceaux restent sur le sol. Il fait moins le malin maintenant. Cette petite raclée lui a permis de comprendre qui était le maître de la situation. Je pose le scooter contre un arbre. Mal équilibré, il retombe comme une merde.

Tout le monde me regarde. La donzelle semble plus choquée par l’état de son véhicule que par son accident. Je prends l’air détaché.

– Bon ben salut.

Je lui proposerais bien de l’emmener dans mes bras aux urgences mais adroit comme je suis, j’ai peur de lui cogner la tête en passant les portes d’entrée.

Avec un peu d’adresse, j’aurais pu être un vrai héros.

Un chevalier des temps modernes.

En attendant, I’m a poor lonesome cowboy, I’m a long long way from home….

3 commentaires

  1. Ah ben oui, un chevalier lui sait distinguer le bouton « brouillon » de celui « publier ». Mais bon, on en est plus a ca pret. Oui, dans la vrai vie, tu aurais pu etre un heros. Mais attention, il faut distinguer le Heros du Prince Charmant, c’est pas du tout la meme chose. Le heros est insaisissable, sauve la donzelle et se tire. Le prince charmant est un geek style moyen-age qui sourit a la donzelle d’un air bete et ne fait strictement rien. Elle bave devant le heros mais se tape le prince Charmant. Precision qui a son importance, afin que tu puisse decider lequel rever etre. Petite consolation: dans l’agilite du verbe, le maniement de l’humour et l’interet suscite par le texte, pas de souci, tu as atteint ( atteignu? atteindru? merde, j’ai un trou) le statut de vrai heros
    🙂

  2. Le prince charmant, c’est celui qui embrasse une femme au réveil en se moquant de sa mauvaise haleine matinale centenaire du moment que ça la délivre d’un long sommeil…

    Rien que pour ça, je préfère être un héros (et tant mieux, si c’est le héros de l’humour et du verbe) 🙂

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