(mais j’ai celui des urgences psychiatriques)
Ce matin, je lisais le billet très vrai de Lise Pressac sur les préjugés, parfois l’enfer d’être un journaliste (qui ne passe toujours pas à la télé) et, j’espère qu’elle ne m’en voudra pas mais… j’ai fait un parallèle avec mon propre métier.
Celui d’éducatrice Spécialisée.
Je suis travailleuse sociale. Une vraie. Avec un diplôme et tout. Je ne suis ni barman (mais je peux être pilier de bar), ni prostituée (mais quand on voit mon bocal de rez-de-chaussée qui me sert de bureau, on pourrait se poser des questions).
Actuellement, je bosse avec des adultes souffrant de troubles psychiatriques dans un service de réinsertion par le logement. En résumé rapide, j’accompagne des adultes à récupérer leur vie ou tout du moins, une partie, après un ou des séjours plus ou moins longs en hôpital psy. Ça va ? C’est clair ?
Je dis « accompagner » car je suis un vecteur (« casse des dits » aux maths de CM2) entre les gens et leur vie. Je ne fais rien sans eux, je propose des solutions, des chemins et à eux de choisir ce qu’ils veulent ou peuvent.
Je vais sur les logements. Je reçois à mon bureau. J’accompagne à l’extérieur. Je répare aussi les robinet qui fuient, j’explique comment le ménage se fait, comment un budget se gère, j’aide à retrouver un boulot, une activité. Je suis un vecteur du quotidien.
En soirée, j’évite de dire ce que je fais.
Non pas parce que j’en ai honte ou autre (bien au contraire, j’adore mon job) mais avec l’expérience, j’ai appris que le dire m’engageait à entendre :
1 – « Mais t’es spécialisée dans quoi ? »
Déjà, cette phrase est grammaticalement incorrecte. Et tiens le toi pour dit : nous ne sommes spécialisés en rien. C’est juste le titre du diplôme : Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé.
Si j’avais été assistante sociale, boulangère ou meneuse du Crazy, cette question ne se poserait pas. Alors ne me la pose plus. Même toi qui va laisser un commentaire ici ou ailleurs en te pensant être drôle ou plus malin. Vraiment, c’est pas obligé.
2 – « Hannnn ca doit être dur… » suivi du regard vaguement compatissant et de « toi tu t’occupe des fous/handicapés/pauvres (rayez la mention inutile), moi je ne pourrai jamais ».
Alors, NAN. Le bois est dur, le béton est dur, etcaetera… Essaye de te lever tous les jours pour aller ramasser les ordures de tous, fais les 3×8 dans n’importe quelle usine et là tu verras la dureté des choses. Je fais ce travail car je me suis formée pour cela (deux diplômes et quatre ans d’études en cours d’emploi). Il me fait aussi et surtout, gagner ma vie. Ne rêvez pas : l’altruisme et tout ce coté « formidable » et « merveilleux » de s’occuper des « miséreux » se dégageant de mes fonctions, ne payent absolument pas. Mais (je ne peux pas le (re)nier), je fais encore partie des privilégiés qui ont un certain nombre de congés : les 5 normales, plus des trimestrielles, plus des jours fériés… Mais au vu de la conjoncture actuelle et des attaques incessantes envers nos conventions sociales, il va nous falloir encore lutter pour que l’on reconnaisse notre utilité et notre réel besoin de repos (psychique) car, souviens toi, le travailleur social ne produit aucune richesse, il en gaspille à s’occuper des autres « improductifs » .
3 – « les pauvres… »
Dans le travail social, nous choisissons toujours avec précision les mots que nous employons car ceux ci ont une vraie signification. Nous sommes les extrémistes du vocabulaire en somme. Une personne souffrant de handicap (qu’il soit social, psychique, mental ou moteur) n’est pas « pauvre ». Ils ne sont, ni eux ni leurs accompagnants, des enfants de 14 mois à qui on fait des gouzigouzis pour surtout éviter les pleurs en cas de chute. Aimerais tu être traité de cette façon si étais toi même frappé de handicap ? Non. Alors ca aussi, on arrête. Même les plus déficients ressentent ces faux bons sentiments. Si tu ne sais pas quoi dire… fais au plus simple. Ne dis rien.
4 – « C’est une vocation tout de même »
Merci bien de ne pas suggérer que Dieu m’a causé à l’oreille un matin et m’a dit de sa voix de Stentor : « Malika, lève toi et marche. Sois travailleur social, va t’occuper de la veuve et de l’orphelin… et du fou aussi (et oublie pas de laisser un chèque à l’aumônier à la sortie. Merci. Bisous.) »
J’ai choisi cette voie parce que mes parents travaillent aussi dans le social (oui, nous aussi, on se reproduit comme les profs). Les valeurs humanistes qui sont les miennes sont celles de ma famille comme (et je l’espère) celles de beaucoup de gens au monde. La seule différence, nous nous sommes donnés les moyens de le mettre en pratique : chacun a sa place dans ce monde quelques soient ses différences et dans le respect de ce qu’il est.
5 – Généralement s’en suit la fameuse conversation sur le cousin malade, de la petite voisine trisomique et/ou du grand père paranoïaque. J’ai également droit aux propres névroses de mes interlocuteurs ou de leur moitié/enfants (rayez la mention inutile une deuxième fois) . Parfois j’ai de la chance, j’ai droit à la totale.
Sérieux ? Tu penses que j’amène mes impôts à toutes mes soirées au cas ou je tomberai sur un spécialiste du droit fiscal ?
Je suis éducatrice. C’est vrai. Je suis patiente, je suis à l’écoute, je fais toujours preuve de bon sens et d’objectivité. C’est comme cela. Je suis comme cela. Ça porte même un nom : la déformation professionnelle. Je peux te conseiller sur la façon de régler un conflit avec ton gamin, te donner les adresses de refuges pour SDF, t’écouter parler de tes souffrances de tes angoisses et autres charmantes choses, t’expliquer que parfois on ne peut pas éviter la mort de quelqu’un que l’on aime même s’il, lui, ne s’aime plus assez pour vivre. Parce qu’être impuissant devant la réalité et les choix de l’autre c’est aussi ça, la vie.
Mais c’est mon TRAVAIL. Genre entre 9h et 18h du lundi au jeudi. Le reste du temps, je suis normale. Et donc pas spécialisée… Écouter tes problèmes alors qu’on ne se connaît pas, que je suis en train de me trémousser sur « Abbesses » de Birdy Nam Nam tout en fumant une clope et en buvant du Bordeaux… dans le fond, ca me fait chier.
J’ai donc inventé toutes sortes de réponses afin d’éviter toutes ses conversations (environ 4 à 5 par soirée). Alors si un jour, nous sommes amenés à nous croiser dans la vraie vie, à ta question « Salut ! AHHHH c’est toi Poupimali ! ? ! Alors qu’est ce que tu fais dans la vie ? » attend toi à une des réponses suivantes :
« Je suis secrétaire notariale ». Personne ne sait jamais ce que c’est et personne n’a envie de savoir, désolée.
« Je suis hôtesse de l’air. Mais comme je suis trop grosse je ne fais que les vols intérieurs genre Metz-Nancy tu vois ? » Oui c’est méchant, on sait tous que Nancy et Metz n’ont qu’un seul et même aéroport.
« Je ne travaille pas. J’élève mes 5 chats de race Écaille de tortue et en fait c’est un vrai boulot à plein temps» seuls ceux qui connaissent les bestioles, savent que non seulement ce n’est pas une race mais surtout que ce sont vraiment des sales bêtes !
« Je suis une escort, je n’ai pas le droit de te parler car tu n’es pas mon client » on peut négocier les tarifs selon.
« Je suis éducatrice spécialisée… ah tiens t’as changé la coque de ton iPhone ? Ouh j’ai soif ! Je vais au bar ! » et généralement tu ne vas plus me recroiser de la soirée.
Je vous laisse, j’ai Joey Starr dans la salle d’attente. Les satellites reliés aux montres c’est quand même formidable pour pouvoir causer à des people.
Ps : Je n’ai même pas d’avantages fiscaux, moi !
Ni de prime pour le risque de me faire trucider d’ailleurs…
Il est tres bien ce billet !
Moi, quand quelqu’un me fatigue et qu’il me demande ce que je fais, je lui réponds « assureur de camion frigorifique » (ca existe hein)
En général, ça calme direct et la personne ressent le besoin urgent d’aller chercher un verre.
SI je suis d’humeur sadique, j’embraye direct sur l’importance du respect de la chaîne du froid,des legislations. J’aime cette lueur de panique dans le regard de mon interlocuteur de type « quand est ce qu’elle va me lâcher »…
Hé hé, il est chouette ce billet. Et il me donne l’inspiration pour un autre …
Faire un métier que les gens appréhendent vaguement, sans pour autant comprendre vraiment ce qu’il en est, c’est une plaie (genre égratignure à une phalange, petite mais tenace). Tu te retrouves face à plein d’ahuris qui t’expliquent ce qu’est ton boulot et comment tu dois le faire – ils le savent mieux que toi, ils ont fait des études, eux (en droit de l’assurance frigorifique, et alors ?). Toi aussi, mais ça, ils ne le savent pas.
J’ai bien ri en tous cas (parfois un peu jaune) !
très bien ton billet, contente de t’avoir inspirée, ça valait le coup que tu l’écrives
enfin je trouve quand même que tu es dure avec l’Alsace…. ou la Lorraine, enfin pour l’Est quoi
@Catnatt : ton alibi est juste terrible. Je dois encore peaufiner mon secrétaire notariale histoire d’être bien chiante également 🙂
merci en tout cas !
@Labouseuse : ohhh oui ceux qui t’expliquent comment c’est ton travail alors qu’ils ne savent même pas ce que c’est…
merci 🙂
@Lise : j’ai juste souligné qu’il n’avait qu’un seul aéroport pour deux villes 🙂 (en plus j’adore Nancy et metz c’est biooooo)
Ben moi, il frustre la curieuse maladive que je suis, ton article… parce que les questions ne sont pas toujours bêtes ou mal-intentionnées… et que si demain je te croise en vrai (et pas que sur Twitter) et que je demande ce que tu fais dans la vie, ça m’intéressera vraiment de t’entendre raconter ton métier, que je poserai sans doute des questions cons mais ce sera parce que je ne connais pas le quotidien et les réalités d’une éducatrice spécialisée…
Je poserai toutes ces questions parce que nous sommes tous – mais pas que – notre job, qu’il nous définit en partie et que s’intéresser au boulot de l’autre, c’est s’intéresser à l’autre.
Alors moi je suis dans le domaine de l’informatique. Du coup on me demande si je peux réparer le grille pain, installer le lecteur DVD parceque c’est de la technologie alors c’est comme si c’était pareil… On me demande de réparer, et de réinstaller pendant mes week ends des pc, parce que sois disant j’ai l’habitude et donc ça devrait allez plus vite… (oui sous mon contrôle Windows s’installe en 4 minutes). On me demande d’expliquer pourquoi le pc de tantine a bloquer il y a 4 jours… ( comme si j’etais omniscient) on me demande souvent « pourquoi si, pourquoi ça »…. On a pas le même métier Mais on a le même problème!
Bravo!
Je suis psychologue, et pour moi, en soirée, c’est tout pareil.
« Han, t’es psy? Mais là, tu sais à quoi je pense? »
Non, connard. J’ai besoin de ma boule de cristal.
« Ah mais c’est drole. J’ai une copine qui a fait un rêve et elle veut savoir ce que ça veut dire. »
Ok, on en parle. C’est 40€ la demi heure par contre.
Oh joie des relations sociales…
Voila pourquoi : 1/ je suis un inconditionnel de megaconnard et de ses posteurs (?). Merci Poupimali
2/ une loi « socialo/underground » devrait statuer sur le remplacement du « tu fais quoi dans le vie » par « on fait quoi de bien dans la vie? »
Ici hehodubato, A vous les studios !
Moi je suis comme L de Bailliencourt, je demande toujours ce que font les gens dans la vie et en plus je m’y intéresse.
Mais j’avoue que j’ai tendance à verser dans le « c’est un beau métier, t’es courageuse, moi je pourrais jamais »
En fait, j’aime bien les gens qui font des « vrais » métiers : mon homme est animateur pour enfants, ma meilleure amie assistance sociale.
Moi je fais du marketing, je me pose des questions fondamentales comme « le bleu sur cette bannière de pub, ça fait convivial et familial ? Sinon on peut rendre ça plus girly »
Bref, parfois j’ai l’impression de bosser dans un mauvais remake de 99 francs et franchement ça n’envoie pas plus du rêve !
Excellent article en tout cas !
« tu fais quel sport? » non je ne suis pas éducatrice sportive. est-ce que j’ai une gueule de sportive?
« tu fais avec les enfants »
« comme Pascal? »
Trés sympa ton billet!
Pour l’anecdote je suis diététicien, et lors de mes nombreuses sorties nocturnes, c’est fou le nombre de fois où l’on m’a demandé un « régime » entre deux vodka-redBull, le cul sur un pouf (pas sur unE pouffe) à 4h du mat…. 😉
Pas facile tous les jours d’être diététicien en dehors des heures d’ouverture 8h-15h36 😉
je suis contente de voir que finalement je ne suis pas la seule comme Lise à être coincée dans nos métiers. Très drôle @piper le « comme Pascal », on me l’a faite aussi !
@L de Bailliencourt et @Louloute : bien sur que je comprends parfaitement votre point de vue et si j’ai le plaisir de vous rencontre je vous raconterai volontiers mon métier. Après Je critique (dans le sens littéral) les conversations vaseuses que j’ai systématiquement à chaque soirée et qui sont au final pas intéressantes.
Merci beaucoup à vous d’avoir laissé un petit mot.
A tous les apprentis séducteurs qui passeraient par hasard sur ce billet : je vous ai déjà dit que rencontrer une personne en soirée ne devait pas s’apparenter à un entretien d’embauche.
Voilà pourquoi…
Merci @Poupi !
@Pot de Nutella: Je compatis, même branche d’activité, même problèmes. Certains membres de ma famille m’appellent une fois tous les 5 ans pour changer d’ordinateur et j’ai un portable dans un sac plastique posé sur le fauteuil avec comme consigne de « tout réinstaller parce la franchement ça rame » (ça fait un mois qu’il est là et j’ai pas envie de le faire, j’aime bien passer mes weekends à poil au lit avec ma chérie à chercher la clé des menottes).
Informaticiens, mes soeurs et mes frères, à chaque fois qu’un travailleur social vous demande un truc en soirée pour son ordi qui rame, pensez à ce billet de poupi et allez vous chercher un verre au bar pour mieux supporter la fin du set de B2N où tout le monde se fait chier tellement c’est nuuuuuul ! Ha si on était sur un concert de BxN, ça enverrait quand même beaucoup mieux et en plus aucune chance pour que quelqu’un cherche à parler boulot dans un bon pogo où les docs coquées calibre 45 volent à hauteur de molaires.
Je fais un boulot tellement pas defini ( ds un hopital) que je repond en general: « Dans quoi je bosse? ben un truc mais je me rappelle plus quoi ». Ce qui a l’avantage de faire fuir les intrus qui pensent que je suis psychotique. D’ailleurs, c’est vrai que je sais pas trop ce que je fais, hum, il va falloir y reflechir. Tres bien ton billet