Passe ton BAFA d’abord

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai beau avoir un « métier » qui me passionne et mange mon temps, c’est plus fort que moi, tous les ans il faut que je reparte en colo. Comme un réflèxe, une évidence… Je ne suis plus colon, juste un animateur méga-cool.

Dans ma maison, ils sont trente-trois. Oui, trente-trois gamins d’un peu partout dans le monde à venir apprendre la langue française, chez moi, le type le plus néologue du monde. L’école-colo où je travaille a adopté un système proche de celui d’Harry Potter et de ses potes, pour que les gamins marchent à la baguette. Ils sont donc répartis par maisons, et je suis le chef de la propriété dite des Pins. Ne me demandez pas d’où vient le nom.

Ils sont donc trente-trois garçons (eh oui, maisons non mixtes), dont une dizaine d’Espagnols, cinq Russes, quelques Vénézuéliens, des Turcs, des Anglais et un Ukrainien. Une colo de citizen of the world, où tout le monde sauf moi parle un peu toutes les langues. Des colons pas banals dans une colo comme les autres.

« Ven is de King’s night ? » L’Ukrainien me casse les couilles depuis le premier jours avec cette phrase, comme un leitmotiv incompréhensible. Je n’avais aucune idée de ce qu’était ladite King’s night jusqu’à ce que le môme prenne l’initiative et la mette lui-même en place. La King’s Night, donc, c’était cette nuit, et c’était super pas chouette. Lui seul y a participé, d’ailleurs. Le principe, qui l’a manifestement beaucoup amusé, c’est de repeindre en dentifrice toutes les poignées de porte. Au réveil, le matin, tout le monde a grave gueulé. L’abruti a repeint toutes les poignées de porte sauf la sienne, ce qui fît de lui le suspect numéro 1. Les tubes de dentifrices vides partout dans sa chambre ont . J’encourage désormais vivement les représailles et les alliances anti-Ukraine dans ma maison. Une autre culture…

Un autre spécimen est ce Russe de 14 ans qui passe sa journée à faire des pompes. Il fait 4 fois mon gabarit. Lorsqu’il me croise, il tend ses deux mains en avant, comme pour que je l’étreigne. Le garçon m’effraie, je le lui dis, mais il ne parle pas français, donc réitère toujours. Et moi, je l’étreins en priant pour qu’il ne me broie pas. Hier soir, il s’est disputé avec son collègue de chambre et est sorti furieux, criant que tous les catholiques du monde devraient être crucifiés. Je lui ai rétorqué, pas vexant pour un sou, peureux comme tout, que tous, c’était un peu sévère.

Nos Hispaniques sont bruyants. Ca paraît cliché, mais c’est en fait pléonasmique. Ils sont donc une bonne dizaine, passent leur journée à jouer au foot, ne parlent pas un mot de français, et ont continuellement ce regard perturbant qui dit « je vais faire des conneries, que tu le veuilles ou non« . Et le regard se vérifie toutes les demies-heures. Pas plus tard que juste avant d’écrire cette ligne, je suis monté dans leur chambre, et l’un d’eux était debout sur son armoire, en slip, un drap blanc sur les épaules, à hurler comme un dingue des trucs pas très cool en Espagnol.

Oui, car depuis quatre ans que je bosse ici, j’ai appris à reconnaître toutes les insultes dans toutes les langues. La première année, tu te fais te foutre de ta gueule en Russe sans que tu comprennes, mais puisque les insultes sont les mêmes d’une année sur l’autre, tu parviens facilement à les déceler ensuite. Suka, par exemple, c’est pas chouette. Salak, en Turc, c’est bof bof aussi. SOlak, par contre, ça veut dire « gaucher ». Ca prête parfois à confusion, je te laisse imaginer (« D’où que tu me traîtes de Solak, moi, ton chef de maison, hein ?????? »)

Mais j’avoue en jouer aussi. Parce que les gamins ne comprennent pas vraiment le français. Ils essaient d’apprendre avec les professeurs, en classe, mais, lorsqu’ils vivent dans les maisons, ils retombent dans leurs travers et parlent avec leurs potes la plupart du temps en Anglais, langue passe-partout : ici je me suis aperçu que nous les Français, étions de vraies quiches en Anglais, parce que toutes les autres nationalités sont bilingues. Donc j’en joue. Parfois, j’engueule vénère mes gamins en français. « Tu me soules grave tu sais, ça » « What ? » « Oui oui, t’es bien chiant » « What ? ». C’est pas cool, je sais, je sais.

Tous les deux jours, nous partons en excursion avec les gamins. Et le vrai enjeu, c’est de ne pas en perdre. Parce que visiter Versailles avec 24 p’tiots qui ne parlent pas un mot de Français et s’en foutent complètement de Louis XIV, c’est pas facile. Faut tenter de les intéresser :

– Alors, qui a habité ici ?

– Le roi ?

– Oui, le roi ! Et comment s’appelait-il ?

Euh…

– Allez, il y en a plusieurs ! Réflechissez… Louis…

– Je sais, Louis Vuitton !

Oui, ce sont des gamins assez aisés dans la colo, j’avais oublié de le préciser. Alors, résigné, tu croises les doigts et t’es aux aguets. Quand l’un d’entre eux s’écarte de ton sillage, tu l’éclates. « Non, tu regardes pas la chambre du roi, tu regardes où je marche, c’est quand même pas compliqué putain ! » Les gamins suivent. Ils ont l’air conditionnés. Pas le bus, par contre. Et quand tout le monde chante, danse, sue et tout, tu finis les escapades à 43 degrés à l’intérieur, six malaises et 14 vomissements. Je suis un as des sacs à vomi, maintenant. Avec moi, les gamins en foutent rarement sur les sièges. Je décèle les futurs vomisseurs, j’agis vite et je suis précis dans la réception dudit dégueulis. Sur un CV, ça en jette je pense.

En escapade à Blois il y a deux semaines, j’en ai perdu 22. C’est mon record. Je n’ai pas déclenché l’alerte enlèvement, mais j’étais à deux doigts. J’ai juste prévenu Twitter, mais avec mes 90 followers, on n’a pas paniqué. Les nouilles se photographiaient en fait à côté du parlement, alors que c’était l’heure d’aller faire du shopping. Quels nases.

Mon spécimen le plus étonnant de l’année est Russe. Il est petit, porte des fringues Ferrari et ne parle ni Français ni Anglais. Je ne suis pas certain qu’il parle Russe, puisque lorsque ses potes lui traduisent ce que je cherche à lui dire, ils se heurtent à un mur. Le gamin mesure un mètre vingt et passe son temps à demander à changer de chambre, je pense. « Vi vant a room », qu’il dit. Au début, je n’avais pas trop compris ça, j’ai fait des tentatives. Après quatre propositions infructueuses (manger, boire, dormir, jouer au foot), j’ai saisi l’idée. Ca fait donc 5 fois que le petit change de chambre, parce que je ne suis pas contrariant. Le souci, c’est qu’il laisse ses fringues un peu partout, et que tout le monde s’en plaint dans la maison. « Ah ya un slip dans mon lit », est devenu la phrase rituelle des Pins.

Niveau laissage de traces, parlons quand même du pire, dans les colos : les toilettes. Nous avons trois femmes de ménage qui viennent tous les matins. L’idée, c’est de se précipiter aux chiottes dès qu’elles ont terminé de les nettoyer. Ou alors de se retenir pendant six semaines. Ou alors d’accepter l’idée, mais franchement… T’as vu Trainspotting ? Parce que c’est pareil.

Aujourd’hui, beaucoup de mes gamins s’en vont. S’en retournent à quelques milliers de kilomètres. Je suis presque en vacances, mais j’ai tout de même la gorge nouée et le coeur gros. J’ai vécu avec eux durant presque six semaines, partagé pas mal de péripéties. On a ri, on a mangé, on a parlé, on a voyagé… Les adieux s’annoncent larmoyants.

2 commentaires

  1. Ah les colos ! C’est une expérience inoubliable, enrichissante et très formatrice.

    Des gosses, on en a rencontré des dizaines et des dizaines.

    On a pleuré lorsqu’ils sont partis.

    On regarde en souriant toutes les photos.

    Et surtout, on repense souvent à cet univers de bisounours.

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