J’aurais aimé que ce récit soit plus clair… mais vous lisez ici le papier d’un survivant. De quelqu’un qui a connu la guerre des sens. Quelqu’un qui n’a écouté que son courage pour aller dans les contrées les plus obscures de France.
Car Clermont-Ferrand, c’est quand même une sacrée contrée obscure de France.
Mais voilà, j’ai été entrainé par mon ami Billy. Et Billy m’a dit « Viens, on va voir Infected Mushroom avec mon frère ! Ca va être énorme ! ». Alors moi ni une ni deux, j’écoute Billy. Billy a toujours de bonnes idées. Pis c’est quelqu’un d’intelligent, de cultivé. Il ne ferait pas n’importe quoi de ma vie.
Avance rapide.
Dans le train, je suis avec Billy et son frère, et 3 autres énergumènes. Bonne ambiance, on rigole. Le frère parle beaucoup, très vite. Il me parle de Granola. Je ne comprends pas. Je sens que c’est un nom de code. Il dit qu’on va en prendre. Je suis à la fois excité et effrayé. Ils me parlent de Burning Man, ce festival de hippies en Amérique. Ça sonne comme une bonne retraite à faire. Ils ont vraiment l’esprit léger ces gens-là. Bizarre, première fois que je rencontre des gens et qu’on ne parle pas boulot.
On me fait écouter Infected Mushroom. Je vomis un peu dans ma bouche : « Je suis pas fan, mais bon, peut-être après une 2ème écoute… »
Avance rapide.
Clermont c’est moche. Beaucoup de douchebags et de bitches, mais en moche. Comme un concours de miss Alsace. On mange chez Paul, parce qu’on est des connards de parisien. Comme on m’a dit qu’on allait danser toute la nuit, je bois une redbull. On me déconseille. Incompréhension.
On me demande combien j’en prends. Je dis que j’ai déjà pris des Pépitos auparavant, donc je gère tranquille. Le frère est le gourou, et c’est lui qui a le paquet de Granola. Alors il réfléchit, il ne veut pas prendre de risque. Il évalue mon mental, apprend à me connaître. « OK » me dit-il. « Va pour 2 Granolas, Billy 2 et demi, moi j’en prendrai 4 ».
Costaud le mec. Je connais la pub, je me dis qu’il est bon pour un gage.
Avance rapide.
On attend devant ce qui ressemble à une grande salle de concert. On voit la programmation, le groupe est affiché, et pleins d’autres dont on se fout éperdument. Enfin moi je m’en fous un peu tout court. La faune locale est variée, du jeune du vieux, du poseur, du junkie, la croix rouge, des videurs.
« L’orga est super bien foutue » dit le frère. « On voit à quel public ils ont à faire » dit Billy. « Euh, surement… »
On attend. Faut dire qu’à Clermont y’a rien d’autre à foutre. « A quelle heure on décolle ? » – « Le groupe doit passer vers minuit, on mange nos Granolas vers 23h ». Je serre le petit bout de papier alu entourant les 2 Granolas dans ma poche gauche.
Les premiers groupes performent, on apprécie, ce n’est pas ma tasse de thé, mais c’est posé, agréable, limite zen.
23h. On mange nos Granolas. Posés derrière la régie son, l’ambiance y est tranquille. Le lieu est noir, avec de grandes toiles colorées et des vidéos sur 2 murs opposés. Psychédélique, je crois.
Avance rapide.
Je me sens fatigué. Un peu bizarre. Mes bouts de doigts semblent être étrangers. Je m’assois. Je me relève. Je me sens un peu mal, limite nauséeux. L’instant d’après je me sens trop bien, dans du coton. La musique n’est pas la bonne me dis-je, Infected n’est pas encore là.
Mes comparses sont un peu partout. On m’a dit 2 choses à retenir : « Chacun pour soi. Pas de prison ». Je n’ai pas encore compris. Mais bon, chacun pour soi, ok. Tout le monde est allé danser. Sauf certains, qui cogitent comme moi derrière la régie. Chacun pour soi.
Le volume sonore varie. il y a foule. Je n’ai rien mangé. J’ai bu de l’eau. Mon estomac se tord. Et j’attends. Autour de moi, des gens bourrés. Une hésitation bizarre entre le malaise et le bien-être.
Un de mes acolytes a un pantalon de toutes les couleurs. Les gens arrêtent pas de lui demander « un truc« . Il leur fait la morale à chaque fois. J’approuve. Ces pauvres jeunes.
Tout d’un coup, des champignons géants arrivent, Infected Mushroom envahit la pièce, comme une présence mystique directement reliée à nos cerveaux embrouillés. L’effet est bluffant. Je me mets à danser, je ressens la musique comme une vague, avec de multiples courants. J’entends nettement toute la complexité des sonorités du groupe. Le son de dance cheap s’est transformé en musique extrêmement travaillée que je comprends parfaitement. Je croise des regards, je me demande si on me regarde, si j’ai l’air bizarre. Je croise le regard d’un gars, on dirait moi, plus jeune. Une fille, à droite, jolie.
Alors je danse. A ma gauche, je revois le mec qui croise mon regard, et les mêmes gens autour. Un déjà-vu. Bizarre. Je bouge dans la pièce, à travers la foule. L’ambiance est joyeuse, comme si on était dans un bal musette. Autour de moi, toujours les mêmes gens. Bizarre.
J’essaye de me mettre en condition. Après tout j’ai mangé des Granolas, donc l’effet doit être un peu ouf. Et si ça me permettait de résoudre tous mes problèmes existentiels ? De trouver la perfection en mon fort intérieur ? Tiens, je viens de revoir la même scène.
Et si j’inventais cette scène, en boucle dans ma tête ? Je regarde les gens, tout le monde me regarde. Mais c’est pas flippant. Ba oui je l’ai inventé. Comme si tout le monde s’était donné le mot pour me faire passer un message, leur regard dit : j’étais trop con d’avoir pas compris avant. Le moment M. J’ai créé une boucle. Ah, pas de prison, faut se sortir de ça.
Donc ok, je suis sous l’effet du Granola. Tout peut arriver. La musique reste comme en fond, je danse, croise parfois mes comparses, rarement en fait.
Avance rapide.
Une fille dort en foetus sur un côté, je la vois comme un bébé qui a la tête d’une ex. Bon, elle a pas besoin de moi.
Avance rapide.
Je salue ce mec que j’ai vu 15 fois dans ma tête. Il me dit son nom, je l’ai oublié.
Avance rapide.
Je cherche Billy et le trouve, je lui saute dessus pour lui faire un calin, ça fait tellement du bien de retrouver un ami !
Avance rapide.
Le temps s’étiole, je regarde ma montre, les secondes sont des heures et les heures sont des secondes. Je ne comprends pas trop. Et puis pourquoi la musique ne s’arrête jamais ? C’est quoi le début et c’est quoi la fin ?
Avance rapide.
J’ai terriblement soif, je retrouve Billy et son frère, ils me disent que la dame pour 1 euro elle est gentille et te donne de l’eau toute la soirée, puis elle te le rend. Trop cool la dame. Je bois.
Avance rapide.
Mon cœur s’emballe, je lutte contre le Granola. Le frère me regarde dans les yeux, me dit de rester calme, zen, comme l’eau qui dort. Je regarde le verre. Je suis l’eau. Ça me calme. On y retourne.
Avance rapide.
C’est plus le groupe qui passe. Je regarde l’heure, il est presque 6h. Le jour se lève. Je retrouve mes comparses, puis on se sépare. Billy et moi d’un côté, les autres continuent du leur (avec 4 Granolas ils en ont pour un moment).
ET JE CROISE CE FOUTU MEC QUI ME RESSEMBLE ALORS QU’IL PART EN VOITURE.
On avance dans Clermont. Prenons du plaisir à se raconter la soirée, alors que nous sentons encore les derniers effets du biscuit. On reste bloqués sur un bout de carreau, à côté d’un brin d’herbe. C’est beau. Je regarde mon iPhone, les icones bougent comme pour les supprimer, sauf que je n’ai rien touché. Étrange.
Les rues sont désertes, mais riches en verdure et nous permettent de passer du temps à observer ce qui nous entoure, à écouter les détails de la vie qu’on n’arrive pas à entendre d’habitude. Une symphonie de miaulements de chats. Les wesh qui continuent à la bière dans leur voiture à 8h du mat. Les conversations des gens qui descendent du bus. Tout fait sens.
Au soleil, nous restons assis avec Billy, à parler de choses et d’autres. Pas fatigués, reposés au contraire.
Les autres arrivent au loin, on se rejoint. La journée commence, nous montons dans le train vers Paris.
Très loin du Pépito, le Granola m’a projeté ailleurs, vers une vérité que j’ignorais. Je recommencerai, pour sûr. Dans cette quête d’autre chose.
Pas mal les « granolas ». Et on veut toujours deux fois 😉