Kippah pas cool

Ce billet est rédigé suite aux événements tragiques qui se sont déroulés ces derniers jours entre Toulouse et Montauban. Il est écrit par Jeremy Sahel. Merci aux correcteurs et à t0ad pour l’illustration.

 


 

J’ai fait toute ma scolarité de la maternelle à la terminale dans une école juive comme celle qui a été attaquée ce lundi matin. Pendant toute cette scolarité, c’est à dire mon enfance, on nous donnait des règles de sécurité très strictes. Des vigiles à l’entrée et à la sortie puis carrément, après Vigipirate, des policiers armés avec gilets pare-balles etc.

 

Les murs de mon école ont vite été  protégés par des grilles hautes pour éviter des tirs de grenades. A la synagogue, pareil : les caméras de surveillance tournent même le chabbath, ce qui est paradoxal dans les yeux d’un enfant parce qu’on n’a pas le droit d’utiliser des caméras pendant chabbath.  En gros  quand on est dans ce système de l’école juive on passe son temps observer la sécurité et on s’imagine même comment déjouer le dispositif ; on en cherche la faille parce que cette sécurité pèse. Quand on grandit dans une école juive, on est sensible à tout ce qui se passe dans l’actualité internationale, qu’il y ait un attentat en Israël, la guerre du golfe et l’impressionnante bataille entre les SCUDS et les tomahawks, des tirs de roquettes Qassam. Je me souviens aussi de Carpentras et de l’attentat à l’école juive de Villeurbanne, je me souviens de tout, pas comme un  historien s’en souvient mais comme un enfant qui a vu ou qui croit avoir vu les choses de près. Trop près.  Quand on fait l’école juive, on s’imprègne d’une discipline olympique «  l’enlevage de kippah » parce que à l’école, on la porte, à la maison aussi, mais on évite de la mettre dans la rue…

 

Eric Fottorino l’avait formidablement décrit dans lemonde il y a quelques années en novembre 2003

« LE GESTE est furtif. Il faut y prêter attention. Avoir les yeux grands ouverts, se pincer peut-être, pour être certain d’avoir bien vu. Ce n’est pas un mouvement anodin. Cela ressemble à quelqu’un qui soudain se gomme et s’efface d’un simple mouvement dans l’air, d’un tour de main rapide, presque un tour de magie. Pour le saisir au vol, il faut aller devant une école juive semblable à celle qui a brûlé à Gagny samedi dernier, sous les flammes de l’antisémitisme. »

« ce geste que les jeunes juifs effectuent désormais comme des automates. Les voici ramenés à des temps immémoriaux. A l’écho du pire. Les insultes. Les agressions. Le feu criminel. Et maintenant le réflexe des juifs de cacher qu’ils sont juifs, sans autre raison que leur appartenance à cette communauté. France terre d’asile où l’on peut vivre en exil de soi ».

J’ai arrêté de porter la kippah il y a 10 ans environ. Je le regrette d’une certaine manière mais je n’aurais pas pu faire tout ce que j’ai fait si je l’avais gardée.

Pourquoi j’ai jeté la kippah aux orties ?

On me disait souvent que c’est de la provocation de mettre une kippah dans la rue mais provocation de quoi ? être qui on est sans se cacher, c’est faire de la provocation ? Quel crime avons-nous commis pour que la simple pratique de notre religion et de nos traditions devienne une provocation ? J’ai envie de dire je vous emmerde mais en fait dans les faits ça ne marche pas.  Parce que quand vous portez une kippah (essayez une journée juste pour voir) vous devenez une sorte de cible morale. Si vous buvez une bière dans un bar des gens viennent vous demander si vous avez le droit de boire une bière. Si vous êtes un ado et que vous roulez une pelle à votre copine les gens sont choqués.  Le plus marrant c’est quand vous êtes assis tranquillement à une terrasse les gens viennent vous demander ce que vous pensez de la situation au Proche-Orient. Donc à un moment, au lieu de porter la kippah on devient le porte-parole de la kippah et à un moment, j’ai juste choisi de vivre ma vie égoïstement mais j’ai presque toujours une kippah dans la poche

 

L’antisémitisme, je l’ai subi. J’ai eu des «  sale juif » derrière moi quand j’urinais dans les toilettes d’un UGC, j’ai eu des « Sale juif » au volant, j’ai eu des poings dans la gueule mais sinon au quotidien c’est beaucoup plus subtil et pernicieux mais aussi violent même s’il n’y a pas de danger vital. Cet antisémitisme je l’ai subi que ce soit avec ou sans Kippah et je préférais avec kippah parce que au moins je savais pourquoi.

 

Une école où les enfants peuvent vivre leur pratique religieuse sans avoir à se cacher, pour beaucoup de gens ça ne devrait pas exister, ça ne devrait pas être financé etc. Pourtant jusqu’au lundi 19 mars c’était le seul endroit ou enfants et adolescents peuvent  vivre leur pratique religieuse socialement sans être gênés. Sans ces écoles confessionnelles il est très difficile de transmettre que le judaisme n’existe pas que par rapport à l’antisémitisme.

 

 

 

 

PS: Cela va sans dire je suis totalement solidaire de la communauté musulmane qui souffre de problèmes semblables avec en plus le soupçon permanent d’intégrisme et de terrorisme.

 

 

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6 commentaires

  1. Merci Jérémy.

    J’aimerai tellement que chacun puisse porter sa kippah, sa croix, son foulard en paix et que nous soyons unis par notre humanité ayant soif d’un monde meilleur.
    Merci pour ce témoignage.

  2. Tres bonne idée le megaconnard
    j’ai eu la meme scolarité que toi et me retrouve totalement dans ce que tu dis
    chacun doit pouvoir porter ce qu il veut sans craindre pour sa securite
    continue!

  3. Je comprend le point de vue, mais la France a son histoire avec les religions : elle les regarde avec méfiance. La laïcité à l’origine, ça ne visait ni les juifs ni les musulmans, mais l’Eglise catholique : on a voulu se protéger de la main-mise du Pape dans nos affaires, et c’était pas plus mal.
    Les religions cloisonnent les communautés entre elles, et ont tendance à bien des égards à minimiser la démocratie : si Dieu a « pris position » sur un sujet, qui est le parlement pour dire le contraire ? Que vaut la loi face à la bible, au coran et à la torah ?
    Bref c’est sur cette idée qu’on a construit notre démocratie, c’est probablement pour ça que les français y tiennent énormément, à leur laïcité.
    Et comme beaucoup d’autres, je pense qu’on vivrait bien mieux ensemble sans aucune religion. Vu le contexte actuel, ce serait plutôt difficile de me démontrer le contraire, non?

  4. Bonjour Jeremy,

    Je t’écris depuis Jérusalem où, comme tu peux t’en douter, nous n’avons aucun problème à porter la kippa, pas plus que les arabes-israeliennes n’ont de problèmes à porter le voile dans la rue ou dans les universités.

    En lisant cet article, j’ai été attristé finalement par une seule phrase : « Je le regrette (de ne plus porter la kippa) d’une certaine manière mais je n’aurais pas pu faire tout ce que j’ai fait si je l’avais gardée. »

    Et bien, je suis désolé de te le dire mais tu te trompes complètement. C’est même tout le contraire et tu sais très bien ce que je t’entends. Je suppose qu’il te reste encore quelque chose de ton parcours en école juive et tu sais bien que porter la kippa t’aurais amené une brakha extraordinaire, cela aurait été un kiddoush Hashem incroyable. Et tu en aurais été récompensé mille fois plus.

    Tu as, je crois, cédé à une forme de facilité où tu voulais être comme tout le monde. Mais figure-toi ceci: tu es un juif, tu n’es pas comme tout le monde ! Et quand tu voudras de fondre dans la masse, il y aura quand bien même quelqu’un pour te rappeler que tu es bien un juif. Il le fera par le biais d’insultes ou par un biais plus sournois du genre : « et vous les juifs… » – en te tapant sur l’épaule – sous-entendu, vous qui êtes nés en France mais qui n’êtes pas comme nous puisque vous êtes juifs…

    Et puis, tu aurais très bien pu porter une casquette par-dessus ta kippa plutôt que de la mettre dans un tiroir et la ressortir 3 ou 4 fois dans l’année.

    Pendant mes années en France, j’ai gardé ma kippa sous une casquette et cela ne m’a jamais empêché de travailler avec des non-juifs. D’ailleurs, ils te respectent parce que tu ne rejettes pas ton identité, en revanche ils te prennent pour la dernière des serpillères lorsque tu renies ce que tu es.

    Qu’en 2016, en France, on en soit encore à se demander si l’on peut ou pas, s’il faut ou pas, si c’est dangereux ou pas, si c’est une provocation ou pas, de porter la kippa montre à quel point ce pays est totalement dépassé par tout ce qui lui arrive. Pauvres de vous!

    Je te propose de faire un essai: mets la kippa une semaine, même sous une casquette, garde la tête couverte tout le temps même quand tu as un rendez-vous important. Je suis prêt à parier qu’un grand nombre de portes s’ouvriront enfin pour toi.

    C’est en tout cas tout ce que je te souhaite.

    Confraternellement,

    Joseph.

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