C’était la fin programmée du combo, l’aboutissement de 7 mois de procrastination, de simili-blessures, de paquets de riz s’entassant dans les placards et de honte de soi en mangeant des kébabs plutôt que ledit riz, un peu chiant et long à cuisiner. Et puis dégueulasse aussi. Mo et moi étions de la partie, ce matin au 10km l’Equipe, comme planifié, pour mettre fin à notre challenge exceptionnel : enchaîner semi-marathon de Paris, marathon de Paris et 10km l’Equipe.
C’est certain que sur le papier, les deux peu sportifs que nous étions n’avaient pas grande chance de terminer tout ça il y a encore 8 mois. Je veux dire… Vivants. Sur deux jambes. Mais dès l’arrivée du marathon, nous savions que ça allait le faire. Il ne restait plus que 10 minables petits kilomètres. Quels couillons nous étions, de minimiser ça !
L’après-marathon fut donc relâchement. Les kébabs n’étaient plus aussi coupables et les nuits blanches légitimaient les annulations de footings sans que nous nous en voulions plus que ça. On m’a d’ailleurs proposé des places pour Solidays, qui tombait pile au moment des 10km, je n’ai pas hésité une seconde.
Ainsi, la veille de la course, je me baladais à Solidays (viens lire, j’ai raconté, ici), à écouter Kavinsky sans Ryan Gosling et à boire des canons avec des jolies meufs. Beaucoup de canons. Moins de jolies meufs. Le hoquet, les relents, la tête qui tourne et la prise de conscience : « putain il est 4h, je cours demain matin ! » « Demain lundi ? » « Non, en fait… dans 6h je prends le départ des 10km de Paris. » RIRES.
Et Solidays, c’est à Longchamp, sur l’hippodrome, soit à vol d’oiseau l’endroit de Paris le plus éloigné de mon appartement. J’ai donc pris une navette avec des gens bourrés, puis beaucoup marché pour rallier l’appart. J’ai dormi, me certifie mon réveil mais JE JURE SUR LA TÊTE DE SAMIR NASRI que le temps a avancé plus vite que d’habitude entre 6h et 8h30.
La douche, froide, ne change rien à mes yeux. Chaussettes jaunes comme pour que les gens se focalisent sur elles plutôt que sur mes cernes, chaussures rouges et c’est parti.
Dans le métro, je m’endors, et une meuf me prend en photo avec son iPhone. Si vous chopez la photo sur le net, faites-la passer, je défoncerai son auteure. Le flux de personnes sortant à la station Bastille me réveille et je suis la foule. Dans l’Escalator, je ne me sens pas trop la force d’escalader, alors je me laisse porter, un peu honteux. Les gens me doublent, je suis bof serein. J’espère que l’Escalator ne va pas tomber en panne, sans quoi je risque de rester coincé un bout de temps, me fais-je la réflexion.
A Bastille, je rejoins Mo qui n’est pas fatigué et me ressasse que pour nous, ça sera une formalité. Je n’en suis plus du tout certain. Les coureurs s’échauffent autour du génie de la Bastille, ils font des ronds et ça me donne la gerbe. Déjà la bière remonte. Je m’astreins tout de même à m’échauffer, histoire de ne pas finir comme Marion Cotillard, les 10 bornes à venir dans le rôle de l’orque. Bizarrement, pas trop de douleurs, je me dis que ça peut peut-être passer. Je suis dans le sas des 45 minutes, ce qui est bien en deçà des temps que je serais capable de faire avec un minimum d’entraînement et une hygiène de vie digne de ce nom. Là, 45 minutes, ça me paraît super fort, et les types faisant la chorégraphie des guignols habituels de coaches m’ont l’air bien chauds. Je m’assois.
C’EST PARTI.
Je ne vous ai jamais parlé de mon fantasme de la pose de pieds ? Ce que je regarde en premier chez une fille, c’est sa pose de pieds. Il faut qu’ils se posent droit, comme sur une ligne. Vers l’extérieur, ça donne un air canard, vers l’intérieur, un air envie-de-pisser. Et puis de cette pose dépend la forme des genoux. Ceux-si ne se touchent pas en position anatomique de référence (oui, j’ai fait des recherches et un fantasme est un fantasme) mais sont dans une symétrie harmonieuse et logique.
Alors je m’astreins à bien poser mes pieds, c’est primordial dans ma foulée et pour mon moral.
Ma poulaine est parfaite. Tu connais pas la poulaine ? Tsss, c’est le chemin des pieds. Les miens montent aux fesses derrière, ne vont pas trop loin devant et ont un long temps de suspension. Je cours en pointe de pieds. J’ai une foulée de Kenyan. UNE FOULEE DE KENYAN, PUTAIN, JE VOLE ! JE SUIS BEAU ! JE SUIS GRAND !
Mais je n’avance pas.
Incompréhensible, j’ai beau m’appliquer, ça n’avance PAS. Les coureurs et coureuses ne cessent de me doubler, le temps du premier kilomètre, bien que j’ai l’impression d’être à fond et plutôt à l’aise.
Alors je pousse un peu plus encore en serrant les dents, et très vite le rythme s’accélère. Je double et c’est agréable. Je bouscule, je me faufile, je rejoins le pros à l’avant du peloton. Au 4e kilomètre, je passe en 14 minutes, ce qui est plutôt pas mal. Les bases de 35 au 10000. De combien ? Putain je flippe, d’un coup. Et en synchro, les premières douleurs. Le Nightcall de Kavinsky vient se poser dans ma tête, comme un relent musical de la veille. Puis d’autres relents, moins agréables, à base de bières et de saucisses frites. Le mal de ventre, le mal aux jambes, le ras-le-bol.
Un ras-le-bol infini, une envie de prendre le métro, d’aller me poser dans le canapé et de regarder TF1, une envie de dormir, beaucoup, longtemps. Et mes yeux de se fermer.
Pour la première fois de ma vie, je m’endors presque en courant. C’est une sensation vraiment désagréable. Heureusement, le ravitaillement arrive, et je mets en oeuvre la technique dont l’efficacité n’est plus à prouver du « je me balance de l’eau dans la gueule même si j’ai déjà froid ». Problème, sur 10km, les gens ne s’arrêtent pas au ravito, l’idée c’est de choper SANS STOPPER TA COURSE une bouteille que les bénévoles te tendent. Ils sont trois dans ma champ de vision, je rate la première, faisant tomber la flotte sur la table, la deuxième se retire en voyant mon manque flagrant d’adresse et donc de lucidité.
Il ne reste plus qu’un mec. Il doit s’appeler Jean-Pierre. Il sait que j’ai besoin de lui, et serre les dents. Il tend la bouteille, ferme les yeux. Je tends la main, aggrippe la bouteille et… VICTOIRE ! Me fous plein d’eau dans la gueule. Réveil en fanfare mais toujours des douleurs. Mais big up pour Jean-Pierre.
Au 7e kilomètre, ça monte. Et un gamin sur le bord de la route demande à son CONNARD de père : « Il y en a encore beaucoup ? », et celui-ci lui répond : « oh non je ne pense pas ! ».
Le 8e kilomètre, c’est la bascule. On redescend un peu, et je prends conscience qu’en me penchant simplement vers l’avant, je crée un déséquilibre qui me force à courir sinon je tombe. Superbe technique, peu gracieuse pensé-je, mais efficace.
Km 9, j’insulte des passants qui me coupent la route en traversant. Il y a des gamins qui ont l’air tout fragiles parmi les insultés, mais sur le coup, j’en ai rien à carrer et je serais prêt à les baffer si l’un d’entre eux rétorquait. Sérieux, faites pas ça, ça coupe les jambes. Comme à Marion Cotillard. Vous n’êtes pas des orques.
Km 10, la ligne d’arrivée. Plus de 73 km dans Paris en 7 mois. Objectif atteint. Mo conclut également. Et une grande sensation de fierté absolue. Appelez-moi coureur. Appelez-moi un docteur, aussi. Et le livreur de kébabs, tant que vous y êtes.
Je ne suis pas une coureuse… Et là, aucune intention de le devenir… Mais un ENORME MERCI pour ces quelques minutes de fou rire. J’ai du secher quelques larmes. Trop drole!!!
Bonjour, je suis journaliste à L’Equipe et j’aimerais vous contacter. Cordialement. JCC
alors Dzibz, on te lis quans dans l’equipe?