Si le blanc me conteste mon humanité, je lui montrerai, en faisant peser sur sa vie tout mon poids d’homme que je ne suis pas ce « y’a bon banania » qu’il persiste à imaginer.
Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous.
(Frantz Fanon)
À force de grandir dans les fanges de ce putain d’hexagone, on finit par se taper l’instinct grégaire, façon de dire qu’on ferme un peu trop nos gueules devant l’ignoble, et que nos yeux lèchent plus souvent le bitume qu’ils ne caressent le ciel. Et parce qu’on souffre héréditairement de cette exclusion qui nous afflige, le temps est venu d’ouvrir ma grande gueule. Moi, on me verra jamais tailler une bavette avec ces bâtards hydrocéphales, je les intolère trop de toutes mes forces, et les rares fois que je m’y suis risqué, j’ai eu l’impression qu’on allait me faire grimper dans un train à bestiaux, à grands coups de rangers au cul, et me conduire jusqu’à la frontière la plus proche, ou dans un crématoire si affinité.
Y en a qui me disent que ça vaut pas le coup de s’obstiner à vouloir leur distribuer des baffes, que l’éducation ne se transmet pas à coups de triques, que les mots marquent mieux que les bleus, et que ma tête est malade de baigner dans les acides rancœurs, les colères basiques, et autre concept vigoureux. Ils me prétendent, ces apprentis Gandhi à la con, que je manque de recul sur ma putain de condition, que mettre des beignes ferait de moi ce qu’ils sont, que les décennies passées à traverser des champs de coton, des nationales de dégoût, des étendues de médiocrité, des villages pillés, des corps décharnés, des bourrasques d’écœurements, des torrents de lassitude, et des rivières de mépris, ne me donnent pas le droit de fracasser des gueules, hein, mais qu’est-ce qu’ils croyaient que j’allais rester là à me laisser noyer, non, jamais, on ne se refait pas, hein, et d’ailleurs pourquoi me referais-je, parfait comme je suis.
Putain, moralement je me ronge les ongles et je donnerais ma vie pour une petite mise au poing, à tous ces évidés du cervelet, ces chétifs de la glande à réflexion, ces laissés pour cons, qu’ils aillent niquer leurs mères et leurs grands-mères si elles sont toujours en vie, que je leur montre de quel boa je les réchauffe putain, c’est confus dans ma tronche, faut que je me clarifie le citron, que j’aille respirer des molécules d’oxygène si ça les dérange pas.
Moi, le sale gosse par excellence, je justifie ma haine, sans parti pris, et fort de ma logique, une haine qui se diffuse à tout mon corps jusqu’à en être entièrement irradié, une substitution progressive du froid et de la douleur par la chaleur et la colère, parce que leur ignorance a presque éteint en eux cet infime germe d’humanité alloué à tout un chacun, ils m’ont appris à haïr d’autres hommes, alors qu’on me laisse rentrer dans le tas, comme un brave, que les gueules de ciste-ra qui se présentent passent au démantèlement systématique, que mes poings, mes pieds, mes genoux, et mes coudes fracassent leurs occiputs et que soient refouler les plus belliqueux de ces fils de pute hors de l’état de nuire.
Pourtant, j’aime plein de monde, je suis pas rabat joie pour un sou, je fraternise d’emblée sans me poser de question, la main ouverte, le regard qui fendrait même un cœur d’artichaut, les lèvres en cul de poule prêtes à bécoter l’autrui(e), la joie de vivre personnifiée, l’attitude benêt en moins, la sympathie en plus, oui, y a que le ciste-ra que je vomis. Je peux pas m’empêcher de le penser assassin, haineux, malfaisant, le cerveau calciné par la bêtise, l’ignorance pareil à un paysage de désolation, voilà, ils me font évoquer la mort, c’est clair, c’est la cause de mon intransigeance profonde à leur égard : la mort, et pas une mort de vieillesse, tranquille, naturelle, attendue, étendue, détendue et libératrice, non, une putain de mort horrible, bestiale, saignante, avec des traces de dents sur la peau, des os cassés, des odeurs de gaz et de chairs calcinées, des talons qui claquent, des marches au pas d’oie, des saluts bras tendu et une brutalité inhumaine, une putain de mort qui finit tragiquement, vraiment tragiquement.
Ok.
Très, très bon style. Une ou deux relecture pour tordre le cou aux quelques couacs, et c’est l’un des meilleurs textes que j’ai lu.