L’ascenseur du futur

 

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– Mais sinon, t’es content de ton appartement ?

– Nooon. Il est petit, mal aéré, à peine éclairé. Et j’entends les voisins quand ils…

– J’ai compris…

– …ronflent. Le quartier est dangereux. On a déjà trois blessés dans l’immeuble cette semaine. Bon, c’est moins que la semaine où le voisin du dernier étage a voulu se suicider au gaz.

– Ah merde…

– T’en fais pas. Il n’a que des plaques electriques. Il a laissé cramer un truc pendant des heures, ça a fait une fumée noire qui a intoxiqué tous les derniers étages du quartier. Franchement, on a ri comme des baleines même si on ne respirait plus. Bref… Bon, y en a un qui s’est énervé, qui a tiré sur tout le monde. Mais si on commence à se prendre la tête, en se disant que le monde est dangereux, on ne sort plus jamais…

– Mais tu veux pas déménager ?

– T’es fou ?! Simplement parce que mon appart est moche, qu’il pue, qu’il fait froid et qu’on y meure facilement ? Franchement, même s’il y avait des rats (enfin des gros rats, hein, parce qu’il y a des rats, ils font du bruits, ils rongent tout, ils laissent des crottes et ils dorment dans mon lit (parfois ils me réveillent quand ils font leur toilette sur ma tête) mais franchement, si à chaque fois qu’on voit des rongeurs, on doit déménager alors vraiment autant vivre dans un bunker. Surtout que les rats, c’est affectueux et ça termine mes déjeuners), mon appart, je le quitterais jamais. Tu sais pourquoi ?

Je cherche pendant un moment. Mais franchement, je n’en ai pas la moindre idée.

– Il a un ascenseur.

– Ah ouais…

J’ai l’enthousiasme tiède, ça se voit.

– Ce n’est pas un vulgaire ascenseur. Pas une pauvre boîte avec des boutons qui monte et qui descend. Non, mon ascenseur, il est moderne.

– Ah… ouais… quand même…

– Tu peux te moquer. Mais mon ascenseur, il fait des trucs que les autres ne font pas.

Je cherche. Longtemps. Mais rien. Je ne vois pas. Alors il prend une grande respiration afin d’expliquer au demeuré que je suis tout ce qu’il fait.

– D’abord, les boutons sont très gros pour les myopes. Quand la porte se ferme, il prévient que la porte se ferme. Et quand on arrive à l’étage souhaité, il dit « la porte s’ouvre ». Comme ça, les aveugles peuvent descendre sans risquer d’accident.

J’essaie de me rappeler la dernière fois où j’ai vu un aveugle se manger des portes d’ascenseur mais je crois que ça n’est jamais arrivé. Ou alors un aveugle distrait qui n’a pas entendu les portes se fermer. Et un aveugle manchot puisqu’il n’a pas le réflexe de mettre les mains devant pour se protéger. Un aveugle manchot et tête en l’air.

– Et ce n’est pas tout.

Il sort de sa poche son smartphone.

– Mon ascenseur a son application.

Il appuie dessus. On attend. un peu. Beaucoup. Son sourire s’efface.

– ça charge….

Un début d’énervement apparait.

– C’est la mise à jour… c’est chiant mais… quand ça marche, on peut appeler l’ascenseur avec…

– C’est pas plus pratique d’appuyer dessus quand t’es devant ?

– T’es vraiment trop XXe siècle.

– Je dis ça…

– Ah ! Voiiilà, j’entre mon code et… Tu vois, il est actuellement au quatrième étage. Il y a une personne dedans. Le voisin du cinquième. Il sort. Maintenant, je peux l’appeler. J’appuie sur le bouton. Merde, ça… ne… putain de… voilà. Et c’est parti.

Pendant un instant, rien. On attend. Le téléphone passe de 4 à 3 puis 2. S’arrête au 2, longtemps.

– C’est la voisine du 2eme. Depuis qu’on a l’appli, elle n’arrête pas de le mettre en marche. Je sais pas, je crois que ça l’amuse. On devrait pas lui laisser. C’est pas un jouet.

Il tape sur son téléphone, s’énervant de plus en plus. Il appuie encore, et encore, et l’ascenseur descend d’un étage.

– Et regarde là, on va lui faire une petite blague.

Il appuie sur le bouton STOP. Son téléphone clignote. Une sirène se met en marche.

– ça lui apprendra, la vieille bique.

Il attend une minute, satisfait avant de rappuyer sur le téléphone. Il appuie sur le coté, lance un agenda.

– Et tu vois, là, je peux réserver. Je sais que le couple du troisième a déjà prévu de le prendre à 17h30. Moi aussi, j’ai ma plage horaire. On peut même choisir sa musique. J’avoue j’aime bien un peu de reggae quand je le prends. On peut avoir une ambiance nature par exemple. On entend des abeilles et le vent. C’est pratique quand on est claustrophobe. On peut même créer une ambiance érotique. T’imagines, l’ascenseur prépare tous tes stimulis avant même que tu aies commencé. Une fois, on a même un voisin qui est resté deux jours dedans. Il n’était pas coincé. Il était bien. Bon, je t’avoue qu’on a eu quelques problèmes, tout le monde voulait le prendre. Même des gens qu’on ne connaissait pas. On a du engager un service d’ordre.

– Impressionnant.

– Alors tu vois, je peux dormir sur la paille, ça me dérange pas. J’ai mon ascenseur. A moi. Pour moi. Et je l’aime.

– Mais…. ça te dérange pas d’habiter au premier étage ?

Il a pleuré en silence. J’avais maladroitement touché un point sensible. Il a bu d’un trait et il m’a avoué, sur le ton de la confidence.

– Il m’arrive de faire des tours dedans, le soir, seul.

– Je suis désolé, je ne voulais pas…

– Et je me sens… libre.

7 commentaires

  1. Il n’est pas libre, il se sent libre, tu vois la nuance ratm ?
    Parfois il arrive que des artifices, aussi bien mécaniques (comme l’ascenseur sus-cité) qu’artificiels (comme la drogue) donnent l’impression de se sentir libre mais c’est une illusion qui à l’inverse de la cause souhaitée apporte en réalité un sentiment de dépendance et d’emprisonnement.
    (Désolé, la pitié ne m’a pas inspiré un commentaire de ton commentaire plus pertinent)

    Au fait Ranx, Merci pour ton texte il m’a fait rire et c’est bon de rire 🙂

    Aristocrac

  2. Waou, je pars en vacances et en retour, j’ai des commentaires claires et argumentés. Je dois avouer que je suis impressionné, je n’ai pas l’habitude.

    Et pour répondre, non, il n’est pas libre, il se sent libre. Pour moi, ce dernier mot, c’était le cliché de l’homme qui roule la nuit sans but, juste pour se sentir « libre ». Sauf que là, le but, c’est à la limite de monter au sixième (je voyais ça comme un immeuble parisien ancien plutôt qu’un building moderne de trente étages) et que dans un ascenseur, normalement, on est prisonnier (pour y avoir été enfermé quelques heures involontairement, on se sent bien bien prisonnier dans cette cage).

    Et sinon, j’aime beaucoup l’ascensso-addiction.

    Juste pour finir, cette idée m’est venue parce que des amis ont acheté une poubelle avec deux boutons électroniques dessus (ouvert/ fermé). C’était beau, moderne et complètement con (à la limite, une pédale pour pas se baisser, je comprends, mais des boutons pour l’ouverture automatique….). Je me suis demandé ce qui se passerais si on poussait le comble de l’absurde moderne en rajoutant une appli poubelle (pour savoir si elle est pleine), une alarme pour prévenir qu’elle est presque pleine, etc, bref, tous les trucs inutiles qu’on peut faire sans avoir besoin de technologie. Et de là, peut-être parce que j’ai bu, j’ai bifurqué vers l’ascenseur (non, en fait, parce que j’ai effectivement un ascenceur qui dit quand les portes se ferment et s’ouvrent).

    En tout cas merci pour ces retours !

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