Plaidoyer pour une bitch.

"Y a peu d'amour avec tellement d'envie, si peu d'amour avec tellement de bruit."
« Y a peu d’amour avec tellement d’envie, si peu d’amour avec tellement de bruit. »

 

Dans un sud aride et rugueux, perdu entre une route nationale et une voie ferrée, il existe un vieil établissement qui permet le repos aux valeureux routiers. Rien de bien pimpant tu sais, juste un parking où le vent soulève la poussière et fait claquer des cordes à linge qui ploient sous les torchons, trois poubelles qui dégueulent tranquillement sous un soleil de plomb et une bâtisse, guère plus reluisante, où se trouve une grande salle jonchée de tables poisseuses et bancales et des ventilos qui tournent sans relâche pour tenter d’éparpiller les mouches et l’air brûlant. Au fond, en se penchant un peu, on peut apercevoir, sous la lumière crue des néons, une cuisine souffreteuse et un long couloir sombre qui mène vers une poignée de chambres aux draps plus que douteux. Le temps s’y est arrêté, dans ma mémoire du moins, à cette heure bâtarde qui n’est plus vraiment la fin d’après-midi, ni encore le début de soirée, à cette heure sournoise où l’ennui te colle à la peau avec des vieux relents amers.

Un train passe.

C’est dans cet endroit charmant qu’officie Jenny Bitch. Elle y astique le comptoir mais pas queue, y sert aussi les menus du jour et les pintes de bière, prête une oreille bienveillante au vague à l’âme du camionneur. Jenny Bitch, petite perle de pacotille, abîme ses 20 ans et s’applique à rater sa vie dans ce no woman’s land.

Elle est mignonnette cette Jenny Bitch, même si elle déborde allègrement dans la vulgarité, même si elle parle un peu trop fort. On en connait tous des comme elle, le coeur taille 90D et le soutif qui implore à l’aide, le rouge à lèvre agressif et le rire qui n’en finit plus de glousser stupidement. Fille facile, qu’ils disent, sans vouloir comprendre qu’elle ne tapine rien d’autre qu’un peu d’amour et d’attention. Ils l’aimeront, oui, brutalement sur le capot d’une vieille Clio avant de reprendre la route en la laissant les cuisses visqueuses, un peu sonnée. Elle clame à qui veut l’entendre qu’elle est libre et affranchie, jure que c’est elle qui mène la danse. Je n’en suis pas vraiment convaincue. Après avoir remis un peu d’ordre dans ses chiffons Pimkie, elle s’allumera une cigarette sur le parking désert, les yeux rivés sur des horizons qui peinent à s’éclaircir, des horizons qui parlent d’un homme qui s’endort dans ses bras, de bébé et de cuisine Mobalpa. Jenny Bitch prise au piège d’une fausse frivolité et de sa mini-jupe.

Un train passe.

Y a pourtant bien un petit gars qui pourrait faire l’affaire, un petit gars qui a mal au bide, qui a besoin d’amour et qui vient s’user les coudes et le foie au comptoir presque tous les soirs. Mais dans ce trou paumé, il semblerait que dieu bédave de la moquette pas fraîche et que le hasard soit tire-aux-flanc. Les étoiles filantes, laissées à l’abandon, s’imbibent de mauvaise vinasse et les trajectoires devenues trop chaotiques pour pouvoir se percuter convenablement, ne font que se frôler sans jamais s’accrocher.

Je crois qu’on a tous en nous, un peu de Jenny Bitch. Cette difficulté à foutre son coeur à poil, ce mal à se comprendre, se faire comprendre, cette peur d’aimer sans retenue, ces maladresses et ces mots qui n’viennent pas. Dans ce monde sec aux coins pointus, pensant se protéger, on érige des barrières qui ne seront rien d’autre que les murs de nos solitudes. Les robes sont peut-être légères et les culottes badines, il n’en demeure pas moins que les vrais sentiments restent englués dans la pudeur. C’est chiant hein ? Allez hop, on fait passer un train.

14 commentaires

  1. Je te jure que quand j’ai lu ton billet je me suis dis que tu étais passé à cet endroit. Qui je suis… heuuu… ben un mec de base. Un peu geek, un peu punk, un peu ingénieur informaticiiiiiiien, un peu critique, un peu curieux, un peu en colère, un peu troll. Rien de bien original mais j’aime beaucoup ton style d’écriture. C’est toujours un peu trash et c’est réellement un plaisir de te lire. Et contrairement à l’abbé j’ai une tendresse particulière pour la junk-culture, ça tient sans doute à ce que j’idolâtre Wattie Buchan.

  2. @Molser, et bien sache que je kiffe la perspicacité de tes commentaires (et je ne parle pas que de ceux que tu postes sous mes propres billets hein) Merci.

    @Babakar, venant de toi, ça me câline l’égo, évidemment. Merci (bis)

  3. J’l’ai connue, cette fille ou une de ses semblables, aimée même… Mais bon j’étais pas camionneuse donc ça devait pas aller 🙂

  4. C’est gentil, j’apprécie ce compliment de la part de quelqu’un dont les billets me régalent. Change rien steuplé. Et Babakar non plus, change rien !

  5. Je me rends compte que je n’ai rien à faire à vous tous… J’aurai fait de louables efforts pour encourager des gens encore jeunes qui prennent la plume et qui ne sont pas inintéressants. Je les aurai même défendu contre quelques internautes pleins de morgues. Et vous êtes tous copains et coquins et je ne suis pas des vôtres. C’est sans regrets, nous n’avons rien à faire ensemble, une époque et une vie nous séparent. Lorsque j’ai pris la défense de jeunes plumes, je l’ai fait avec un souci de nuances, que j’ai certainement mal exprimé, mais qui surtout a été compris avec les travers d’une époque particulièrement bête. Je ne me sens de supériorité sur personne mais je me sens chaque fois au dessus quand je sens la morgue s’exprimer, de façon masquée, sans dire d’où elle parle et quand je sens le vent imbécile de l’époque s’en prendre à mes nuances plutôt qu’à la morgue. Bref je crois bien que je vous emmerde

  6. Alistair, tu es fatigant.
    Ne te rends-tu pas compte que tu passes ta vie à t’affronter avec presque tout le monde ?
    Je crois qu’il arrive un moment où il faut savoir cesser de se braquer et écouter ce que les autres te disent. C’est en considérant la critique qu’on « évolue », surtout si elle est répétitive.
    Je sais que tu n’es pas un mauvais bougre, sans aucun doute un incompris plus qu’autre chose et je reste persuadée que tu es le premier à en « souffrir » mais toi seul peut changer les choses.

  7. Je ne suis pas sûr que le vent imbécile de cette époque:
    1) souffle plus fort sur mégaconnard qu’ailleurs
    2) se déchaîne sur ce 21ème siècle
    3) nous rend copains et coquins au delà de la bienséance
    4) te pousse au large, sauf si c’est là que t’as envie d’être bien sûr
    5) me rend plus ouvert à ton flot d’autosatisfaction mâtiné de chevaleresque égocentrisme

    Ecris-nous un billet et promis je te mettrai un commentaire aussi objectif que puisse en produire un être humain moyen. Mais par pitié, cesse de jouer une tragédie grecque (regarde où ça les a mené) à chaque fois qu’un com’ contient « c’est de la meeeeeerde ». Les auteurs de megaconnard sont plus de vieux briscards que de jeunes plumes innocentes, je crois.

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