Le loup solidaire

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Désolé de t’apprendre la putain de nouvelle si tu la sais pas encore, mais voilà, mon pote, si tu crois que dans la vie on est tout seul, tu te goures méchamment.

Moi, quand j’ai eu douze ans, je me suis retrouvé sans daron ce qui a affecté mon développement psychiatrique, comme t’as pu le remarquer. Très rapidement, je pense pouvoir me débrouiller mieux tout seul, alors je romps tous les ponts qui me relient aux autres. Préférant me débrouiller mal à ma façon plutôt que d’être un trou du culte qui fait ce que les autres pensent que je devrais faire.

Con-vaincu qu’au nom d’une putain de liberté je m’en sortirais comme un chef, parce qu’à l’époque, je commence à piger que tout le monde est enfermé d’une manière ou d’une autre, que la vie est ainsi faite, mon pote ; qu’on est tous prisonniers de quelque chose.

Je débute alors un putain de voyage intérieur – que je n’ai pas encore achevé – à la recherche des endroits inaccessibles, que normalement on est pas censé déceler, des endroits où il y a des trucs fantastiques qui arrivent, des endroits bien cachés, très sombres où dans l’obscurité tu apprends à voir, des endroits où quand tu les trouves, tu peux être libre partout où tu te trouves, de la même façon que ceux qui les trouvent pas sont enfermés où qu’ils aillent.

À l’époque, je pense – à juste titre – que le monde est naze, que la douleur et la souffrance sont tout autour de oim, genre vautours qui tourniquent au-dessus de ma gueule. Que la vie est une vaste blague, comme un putain de cirque des difformités. Que les gens se détestent et se trucident sans raison vraiment valable, qu’on vit et qu’après on crève et que quand on est clamsé c’est la fin, et qu’on se dissout dans le grand tourbillon de la vie qui continue pour les autres, le game over. Qu’il n’y a pas vraiment de beauté dans tout ça. Que la difformité, c’est juste informe.

C’est ce que je me dis encore des fois, malgré les étincelles magnifiques qui me sautent à la gueule de temps en temps.

De toutes façons, dire des choses ne signifie pas toujours qu’on les croie. On peut se dire tout ce qu’on veut, mais si on ne croit pas à ce qu’on dit, on parle en l’air. Et je parle souvent en l’air parce que je ne connais pas la vérité. Parce que je la cherche encore et toujours. Parce que je pense connement qu’écrire m’aidera à mieux comprendre.

Y a des trucs dont je suis sûr et d’autres dont je le suis moins. Je sais que dans la vie, ce qui s’élève doit forcément retomber. Forcément. Puisqu’on finit tous par caner. On finit forcément par perdre de notre superbe. Même ceux qui étaient décrépit de leur vivant. Pour l’instant, je suis au top. Mais jusqu’à quand, putain ? Et même si personne ne pense que ça doit jamais lui arriver, ça arrive un de ces quatre. Bim ! Personne n’y échappe ! D’un coup ! Culte sec ! Amoindri de partout, la lumière est soufflée.

Quand j’ai rencontré le prof, qui n’était pas encore prof mais que j’appelais déjà le prof, je nageais dans mes réflexions depuis quelques années et je perdais pied aussi. On était tous les deux un peu paumés quand j’y repense. On savait pas ce qu’on voulait, même si au fond de nous, on savait qu’il fallait juste qu’on soit sincères avec nous-mêmes, et qu’on cesse d’avoir peur de ce que nous étions vraiment. Que nos vies étaient à nous. Rien qu’à nous.

Qu’on devait s’en battre les reins des connards qui nous faisaient des sourires par-devant et qui vous filaient des coups de latte dans le ventre par-derrière.

Je me demande souvent ce que je fous là.
C’est en me posant cette question que je m’abîme dans les profondeurs de mes réflexions. Devons-nous profiter un max de toutes les jouissances qui s’offrent à nous ? Ressentir tout ce qu’on veut et expérimenter tout ce qu’on peut ? N’est-ce pas tant l’accumulation de biens matériels que l’accumulation d’expériences qui nous font grandir ?

Je retiens un sourire. Non, soyons francs, je me marre, le goût du mystérieux et de l’au-delà chevillés à mon âme, tellement ancré en moi que je suis même persuadé d’avoir une âme et que tous ceux qui ont pour ainsi dire une boule de cristal entre les mains et qui possèdent, prétendent-ils, le lumineux privilège de con-verser avec les morts, me fascinent.

Je fais parti des innombrables beaux gosses agenouillés, pliés en deux devant l’insondable pourvu que ça soit reconnu d’utilité biblique, bien certain que si Dieu nous a fait une échine c’est pour que nous la courbions.

Mais pour grandir, il faut que j’abandonne l’idée de la mort. Parce que la mort c’est la fin, très simplement et rien de plus. Le game over. Que quand la mort frappe c’est trop tard pour grandir. Que mon obsession de la mort me flingue doucement mais sûrement. Que mon obsession de la mort détruit ma vie et me fait cautionner les mages, les voyantes, les marabouts, et les bouts de ficelles. Que l’obsession de la mort explique tout. Ce à quoi je pense, ce à quoi vous pensez, et ce à quoi nous ne pensons pas encore mais qui est merdique. Que l’obsession de la mort m’empêche d’aimer vraiment. Que la vie, pas la mort, est le plus grand mystère sur lequel je dois me con-centrer.

Toute foi, toute véritable foi, implique le doute. Un mec qui dit que sa foi est inébranlable, me fait marrer parce qu’en vrai sa foi est complètement branlable, tu vois. Ceux qui disent qu’ils n’ont pas de doutes me dubitativent. Moi, dont le doute m’habite d’au moins cinquante centimètres.
Demeurer fidèle à notre foi face au doute, voilà qui a de la gueule et de la valeur. Pour croire en quoi que ce soit, il faut douter. C’est le minimum syndical du truc.

Avec le prof on parle pas beaucoup quand on se voit, mais c’est pas gênant. Sa présence m’apaise, me calme, me donne le sentiment d’avancer, peut-être pas toujours sur la meilleure route mais d’avancer quand même. Amoindrissant mes doutes et mon obsession de la mort, en se contentant d’être là et de marcher à mes côtés.

Parce qu’aussi ridicule que cela puisse paraître, souvent tout ce dont on a besoin c’est que quelqu’un soit là et marche à nos côtés.

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