-Tu n’as pas d’enfants?
– Non.
– Tu n’en veux pas?
– Si, mais c’est compliqué.
– Ah!… Vous n’y arrivez pas, c’est ça?
– Oui, c’est ça.
A ce moment précis, j’aperçois presque toujours une lueur de soulagement dans les yeux de mon interlocuteur. Ne pas avoir d’enfants quand on a 40 ans, un mec, un job, une maison avec un joli jardin… Si ce n’est pas lié à un problème médical, ça veut dire que nous n’en voulons pas, et ça, de la part de la plupart des personnes avec qui j’ai ce genre de conversations, ne pas vouloir d’enfants relève de la pathologie mentale. Impensable. Inimaginable. Alors oui, cette précision quant à mon incapacité à donner la vie me fait immédiatement basculer du statut d’égoïste malsaine à celui de pauvre victime inconsolable. Et je ne suis pas la seule à changer de statut, puisque cette information confère également d’un coup à mon interlocuteur le rôle du conseiller bienveillant. A chaque fois. Et cela fait donc des années que j’entend les mêmes sempiternelles exemples de l’amie du cousin d’un copain d’enfance qui, comme nous, ne parvenait pas à avoir d’enfants et qui, au moment ou le couple s’y attend le moins, bing! Ils finissent par pondre un ou deux petits morveux. Les circonstances du miracle sus nommé tournent autour d’environ 3 versions:
1- Ils ont essayé pendant des années, on a fini par leur dire qu’elle ou lui était stérile et… Paf!
2- Ils ne pouvaient pas en avoir, donc ils adoptent et… Paf!
3- Ils ont tout tenté et après 10 ans de traitement, ils ont décidé d’arrêter et… Paf!
La conclusion, elle, en revanche, est toujours la même:
« C’est quand tu t’y attendras le moins que ça finira par marcher, tu verras. Il faut simplement que tu cesses d’y penser ».
Alors toi, le bon samaritain grâce auquel je vais enfin comprendre comment donner la vie, toi qui me répands ta bonne nouvelle tels un messie de comptoir, sache que:
– C’est facile de parler des 0,2% pour qui ça a fini par fonctionner. C’est de ceux là dont on veut se souvenir, c’est plus rigolo. Mais moi, je veux bien qu’on me parle aussi de tous les autres, ceux qui constituent la grande majorité des couples en mal d’enfants, ceux pour qui ça n’a jamais marché, ceux dont l’horloge biologique a cessé de tictaquer et qui ont, un jour, transformé la seconde chambre en bureau ou en dressing. Ceux qui ont du apprendre à vivre sans, qui se sont parfois séparés parce qu’ils ont fini par se reprocher l’irréprochable. Je voudrais qu’on me parle d’eux, qu’on m’explique comment on parvient à vivre malgré tout, comment fait-on pour continuer de croiser ces femmes au ventre rond sans s’effondrer sur le trottoir, comment ont-ils fait, tous ceux là dont tu ne me parleras jamais, toi qui naïvement pense que ta parole réconfortante va m’aider à devenir maman.
Je ne t’en veux pas, tu sais, j’ai parfaitement compris qu’il n’y a aucune malice dans tes propos. Tu es sans doute triste pour moi, et quand tu rentreras ce soir, que tu embrasseras tes gosses, tu penseras un instant que tu as bien de la chance. Et puis le petit dernier fera tomber un pot de cornichon ou tirera les cheveux de sa sœur et tu fileras lui donner une baigne, à ce petit con.
Je ne t’en veux pas. Mais qui que tu sois, ami de longue date ou rencontre de hasard, je préfère te mettre en garde. Parce que ça fait bientôt 6 ans, 6 longues années que j’ai presque cessé de vivre, que ma main posée sur mon ventre lisse et plat m’arrache inexorablement des sanglots, que je me lève le matin avec un gout de manque dans le fond de la bouche et que le soir venu, je me couche avec. Qu’à chaque anniversaire, c’est pour moi une année de moins pour être mère. Qu’à chaque Noël, c’est un sapin que nous ne faisons pas. Que les seringues que je m’injecte depuis toutes ses années me font de plus en plus mal, et pourtant la taille de l’aiguille est la même. Que chaque tentative me fait craindre la douleur de plus en plus insupportable de l’échec. Que pour moi aussi, l’échéance arrive, mes pauvres entrailles finiront bien par déclarer forfait, arides et sèches du miracle qui ne se sera pas produit…
Alors, non, je ne t’en veux pas. Mais si, au détour d’une conversation, tu me conseilles à nouveau de ne plus y penser… Je t’en colle une.
Dans ma famille, où les gosses ont salement tendance à se faire (très) longuement attendre, on prie avec ferveur le Saint Patron des F.I.Vettes, et dès fois ça marche. 🙂
Merci pour ce billet qui me touche. Évidemment.
C’est tellement juste, ton billet est très émouvant sans tomber dans le pathos. Merci d’avoir mis des mots sur les sentiments que nous, « femmes infertiles », ressentons.
Le Saint patron des F.V.Ettes ne nous a pas entendu, ou alors nous n’avons pas prié / gueulé suffisemment fort. Nous allons donc à présent adresser toute notre ferveur au ténébreux prince ibérique, DON Dovocytos le bien nommé 🙂
WA…. La « petite » clacasse de derrière les fagots…. Je ne sais pas qui tu es, Erendira, mais…… je puis te dire quand même que…. même si ton ventre reste, malheureusement, irrémédiablement, sempiternellement… « lisse et plat »…. tes mots…. ta plume ne le sont pas… Maigre consolation, tu me diras? Des milliers de personnes dans ton cas pourront s’en nourrir….Qui a dit…. « lisse et plat »?
C’est si juste…tellement proche de ce que nous avons toutes ressenti, à un moment ou à un autre…nous….les femmes définitivement « en mal d’enfants »….ou celles pour qui ils se sont longtemps faits appeler « Désiré »…
Merci d’avoir si bien posé des mots sur tout cela.
Comme c’est bien dit et comme c’est vrai bordel ! Je ne sais pas si ça fait du bien, parce que ça remue, mais on se sent moins seule. Je n’en suis pas encore au stade d’enfiler des gants de boxes, mais je sens que ça vient…
Bravo pour cette décision espagnole! Je croise les doigts (mais c’est pas facile pour taper à l’ordi).
Marion (l’amie de Fred)